Quel sens donne-t-on à la refondation sous nos cieux ? Si la refondation signifie un nouveau départ, peut-on réellement dire que les assises qui viennent de se tenir en un temps éclair sont inclusives ? Après la propagande pour asseoir leur pouvoir, les citoyens s’attendaient véritablement des militaires à une décrispation pour une véritable ‘’sauvegarde de la patrie’’. Et ce, parce que dans l’œuvre de l’édification de la nation, chaque citoyen doit jouer sa partition. Et puisqu’il faut du tout pour faire un monde, il faudrait rigoureusement que toutes les sensibilités du pays participent aux débats. Telles que les choses se sont passées, certains nigériens restent sur leur soif tant l’inclusivité est loin d’être de mise dans les assises dites nationales tenues du 15 au 19 février 2025.
C’est parce que justement nous avons la pleine conscience que dans la marche actuelle de notre pays, chaque nigérien a son mot à dire et doit le dire que nous prônons une posture dialogique et plus pondérée aux militaires aux commandes de l’Etat. Il y a eu une phase de déchirement et de flottement après le coup d’Etat qui a mis le pays dans la plus grande incertitude du fait même de sa survenue. Nous l’avons dit en son temps, le coup de Jarnac du 26 juillet 2023 reste et demeure l’une des plus graves épreuves pour le peuple nigérien. En effet, la démolition des institutions est intervenue sous un ciel tranquille à la grande surprise des Nigériens. Les arguments avancés pour justifier l’irruption des militaires sur le terrain politique s’avèrent fallacieux.
On le sait, le Niger n’avait pas un problème de textes fondamentaux mais comme il fallait suivre le rythme de nos voisins sahéliens sous l’emprise de Poutine et des trolls russes, il fallait tirer par les cheveux des arguments pour faire adhérer les populations. La suite est connue, les ennemis réels ou supposés ont été voués aux gémonies : la CEDEAO, la France, l’Union européenne, les USA dans une certaine mesure sont dans le viseur de la junte et ses soutiens. Parmi nos voisins, le Nigeria et le Bénin sont également considérés comme nos ennemis déclarés. La frontière de notre pays avec le Bénin reste et demeure fermée en dépit de l’étouffement économique du Niger qui se traduit par l’inflation et la vie chère. Ce qui a détérioré les conditions de vie des populations.
Après dix-neuf mois aux commandes, la junte a décidé de la tenue des assises nationales où les délégués désignés de façon non transparente n’ont eu que cinq jours pour débattre des problèmes qui assaillent le pays et tracer les pistes de sortie de crise. En observateurs avertis, nous relevons quelques ratés voire des occasions perdues au forum dit inclusif.
Quelques ratés aux assises nationales
Une certaine vision manichéenne avait, dès la survenue du coup d’Etat, considéré que les partis et les leaders politiques constituent le mal absolu. Les militaires et leurs soutiens ont vilipendé la classe politique en traitant les leaders politiques de tous les noms d’oiseaux sauvages. Même à l’ouverture des assises, le Gouverneur de la région de Niamey en lieu et place de son mot de bienvenue a plutôt prononcé un véritable réquisitoire contre la classe politique qui serait, selon lui, responsable de tous les maux du pays depuis 35 ans. Le pamphlet du général Abdou Harouna Assoumane a suscité une vive polémique sur les réseaux. Certains internautes ont jugé utile de faire le décompte pour rétorquer qu’en réalité les régimes militaires ont eu le plus long règne que les civils sur les 65 ans du Niger indépendant. Mais au-delà de la polémique en cours depuis les évènements du 26 juillet 2023, il importe de savoir comment refonder le pays sans les leaders politiques ? Au regard de leurs expériences dans la gestion des affaires publiques, comment peut-on faire table rase des partis politiques et de leurs leaders ? A notre humble avis, la non implication des leaders politiques est un raté des assises nationales. C’est une illusion de penser qu’il faut dissoudre les partis politiques pour encore créer d’autres. Ce sont les mêmes acteurs qui sauront se retrouver naturellement par affinités.
Le second raté, c’est la non transparence des indicateurs de choix des délégués ayant participé aux assises nationales. La représentativité des délégués est réelle en ce sens qu’on a entendu publiquement des récriminations de certaines corporations dénonçant le choix de ceux qui devraient les représenter. Dans le même ordre d’idées, on a entendu des citoyens se demander selon quel critère on a accordé un quota aussi important aux Forces de défense et sécurité et leurs épouses ? A bien tenir compte de la population du pays, rien ne justifie la part très belle faite aux FDS. Il est donné la latitude aux ministres et aux gouverneurs de désigner les représentants des entités sectorielles. Par exemple, le choix des représentants de la presse privée est loin d’être représentatif. On a vu plutôt des porteurs d’eau de la junte désignés d’autorité par le ministre de la communication. Dans un contexte normal, il incombe à la corporation de se concerter pour désigner ses dignes et légitimes représentants.
Le troisième raté, c’est le maintien en prison des détenus politiques en majorité des soutiens du président Bazoum. On a beau dire que les délégués ont été désignés sans considération politique, cet argument laisse plus d’un sur sa soif en ce sens que les acteurs sont connus des nigériens. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il y a l’idée d’une caisse de résonnance pour entériner un scénario écrit d’avance. S’il y avait une volonté politique visant une véritable refondation du pays, les militaires devraient donner des gages qu’ils ne visent que l’intérêt général. En effet, en dépit de la fameuse ordonnance sur la déchéance de la nationalité, les assises nationales devraient être un moment de pardon et de réconciliation nationale.
Comme chacun le sait, s’il y a une obédience qui constitue une opposition radicale à la junte et à son gouvernement c’est bel et bien les soutiens au président Bazoum. Comment les assises nationales peuvent-elles ignorer une telle donne si tant est que l’intention vise un nouveau départ ? On ne cesse de le rappeler, le pays est plongé dans une crise politique dont nul ne saurait y remédier sans un vrai dialogue inclusif avec la participation des forces vives et obédiences sociopolitiques du pays. C’est pour cette raison et bien d’autres que la Conférence nationale souveraine se démarque des assises nationales où semble-t-il on a opté pour le clonage du cas malien sans tenir compte de notre propre trajectoire historique.
Elh. M. Souleymane
L’Autre Républicain du jeudi 20 Février 2025