A chaque transition sa commission de moralisation. Le CNSP n’a pas fait exception en créant, en septembre 2023, la Commission de lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale (COLDEFF). A l’inverse des autres transitions, celle du CNSP intervient dans un contexte de fortes sanctions économiques et financières de la communauté internationale. Bien sûr que le coup d’Etat du 26 juillet 2023 était tout aussi singulier car il est intervenu, contrairement aux autres, dans un contexte politique, économique et social particulièrement serein, disons même prometteur pour le pays.
En raison de ces sanctions, la nouvelle junte a besoin d’argent. Elle a espéré avoir cette bouffée d’oxygène à travers non seulement la COLDEFF qui devrait rapporter des milliards de francs CFA, mais aussi d’un autre machin, le Fonds de solidarité pour la sauvegarde de la patrie, qui aurait pu être une structure provisoire, mais qui est devenu une institution permanente, qui mobilise de l’argent avec les citoyens par le biais de tant de stratagèmes.
En vérité, la COLDEFF n’est qu’une structure de recouvrement qui exploite les rapports d’inspection d’Etat qu’ils soient définitifs ou provisoires c’est-à-dire ceux qui n’ont pas fait l’objet de contradiction des parties mises en cause. On se rappelle, à titre d’exemple, du dossier de la société nigérienne d’urbanisme et de construction immobilière (SONUCI) où des anciens responsables mis en cause avaient nié avoir pris connaissance du contenu du rapport. Il en est aussi d’un confrère Le Canard Libéré mis en cause dans un rapport d’inspection à l’ARCEP (Autorité de régulation des Communications Electroniques et de la Poste) alors qu’il n’a jamais été interpellé pendant l’inspection. On peut aussi citer le cas de cet entrepreneur qui a pignon sur rue, qui, ayant bénéficié régulièrement d’exonérations dans la construction d’une route, a été obligé de verser 1 milliard de francs CFA à la COLDEFF sous peine d’aller en prison. C’est presque le « chantage » fait aux personnes qui sont appelées : payer sans contestation ou aller en prison. De peur d’aller en prison, les personnes interpellées préfèrent payer pour préserver leur honneur. Il leur est souvent répondu qu’en cas de contestation, ils pourraient ultérieurement poursuivre l’Etat. C’est dire que la COLDEFF risque de léguer à l’Etat de nombreux contentieux.
Une structure de recouvrement
La COLDEFF ne fait que du recouvrement. Naturellement, ses membres perçoivent des commissions sur les sommes recouvrées. Sa mission principale est « le recouvrement de tous les biens publics illégalement acquis et/ou détournés ».
Elle ne fait pas la prévention ou d’investigations sur les cas de corruption ou d’infractions assimilées comme le faisait la Haute Autorité de lutte contre la corruption et les infractions assimilées (HALCIA) dissoute par la junte. C’est dire que la COLDEFF n’a pas les prérogatives de la HALCIA.
Elle n’est donc pas de ce fait une institution de lutte contre la corruption et les infractions assimilées. LA HALCIA faisait des investigations et dresse rapport qu’elle transmet au président de la République et au procureur de la République pour suite à donner. Elle fait de la prévention. C’est pourquoi, elle avait compétence pour superviser les examens et concours organisés par l’Etat, les recrutements dans les entreprises publiques…
Si la HALCIA était fonctionnelle, elle allait s’intéresser à la récente polémique sur le recrutement des enfants de certains dignitaires actuels à la société de raffinage de Zinder (SORAZ). Sur les réseaux sociaux, la polémique enfle. Il est important que cette scabreuse affaire soit tirée au clair au nom du principe sacro-saint d’égalité des citoyens devant les emplois publics. En vertu de quoi, des enfants des dignitaires actuels pourraient-ils disposer du privilège d’accéder à des emplois dans des conditions particulièrement douteuses ? Le CNSP est interpellé lui, qui a prétendu urbi et orbi que son intrusion dans la vie politique avait entre autre objectif de mettre fin à une mauvaise gouvernance entretenue par le régime qu’il a renversé.
La HALCIA avait des prérogatives qui lui permettaient d’agir et de lutter véritablement contre la corruption. Les dossiers qu’elle a ficelés et légués à la COLDEFF en disent long sur sa pertinence et son efficacité. A l’époque du président Mohamed Bazoum, la prescription concernant les détournements des deniers publics avait été supprimée, preuve de son engagement à lutter vaille que vaille contre la corruption et les infractions assimilées. Une révolution dont les effets ont commencé à se faire sentir car avec la suppression de la prescription, les gestionnaires des deniers publics faisaient très attention.
Ces derniers jours, la COLDEFF ne sait intéresser qu’à des menus fretins : deux journaux privés de la place ont été appelés à verser respectivement 230.000 et 120.000 FCFA au titre de la TVA non reversée suite à la couverture médiatique des sessions du Conseil Economique, Social et Culturel (CESOC) sur la période 2014-2023. Pourtant, les Nigériens attendaient des dossiers portant sur des milliards de francs CFA qui leur ont été miroités. Où sont alors ces dossiers ?
La rédaction
L’Autre Républicain du jeudi 3 octobre 2024