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Niamey
27 septembre, 2024
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Point de vue :  Là où il y a de la douleur, là le sol est sacré

Car la douleur est comme l’injustice. Il ne faut jamais s’habituer à leur omniprésence. Très souvent, la douleur est une conséquence de l’injustice. L’une et l’autre sont à leur manière une révélation. La douleur est l’une des réponses, peut-être la plus immédiate et la plus dramatique, à la séparation entre la réalité et l’aspiration à la plénitude de la vie. Elle révèle un malaise, souvent incommunicable, avec soi-même, les autres et le monde. L’injustice s’exprime comme une trahison perpétrée à l’encontre de la personne qui est privée du droit premier et fondamental qu’est la reconnaissance de sa dignité humaine inaliénable.

‘Là où il y a de la douleur, là le sol est sacré’, écrivait le poète et dramaturge d’origine irlandaise Oscar Wilde. Le Sahel est donc un lieu sacré et doit être accueilli et respecté comme tel. Le sol dont parle le poète n’est pas seulement géologique ou géopolitique. Le premier sol sacré, ce sont les hommes, les corps, les espoirs et les images qui caractérisent toute aventure humaine. La douleur qui ne trouve pas de mots pour se dire parce qu’elle est aussi indicible et précieuse que le cri d’une mère. La douleur qui semble écrite avant même de naître au monde. La douleur des pauvres qui la transmettent, en silence, de père en fils.

La douleur de la mort par la faim qui, au Sahel, selon le Bureau de Coordination des Actions humanitaires, met en danger la vie de 33 millions de personnes. Cette famine est la conséquence de crises telles que la détérioration de la sécurité, l’instabilité et le climat, qui menacent les moyens de subsistance des familles. La violence des conflits armés oblige des millions de personnes à fuir leurs maisons et leurs terres pour chercher un avenir précaire ailleurs. Une vie passée à fuir d’un endroit à l’autre et d’une guerre à la suivante. Il semble difficile de trouver une douleur qui ressemble à celle racontée par les survivants.

Parce que la douleur est une malédiction, un mystère, un silence, des mots qui ne suffisent pas, un miracle qui n’a pas eu lieu et un cri inaudible. Il y a une douleur collective qui n’est pas la somme des douleurs individuelles et que même les livres d’histoire ne peuvent mettre en lumière. La douleur est portée à l’intérieur, comme le font les pères que la vie a rendus fléchis et fiers de ne pas avoir pleuré devant leurs enfants. Il y a la douleur de l’accouchement et celle qui semble tout à fait irrévérencieuse et stérile. La douleur est silencieuse parce qu’elle ne trouve guère de rivage où elle puisse accoster avec la certitude d’être comprise. Comme celle des enfants que peu savent accueillir.

Leur douleur, celle des enfants, n’a pas encore trouvé de vocabulaire capable de la transmettre aux générations à venir. Des enfants pris en otage pour faire la manche dans les rues des villes et pour apitoyer les consommateurs distraits. Forcés de travailler dans des terriers creusés dans la terre à la recherche de minerais précieux pour l’industrie et le commerce des grands. La douleur des enfants arrachés trop vite à l’étreinte de leur mère et à l’avenir que les conseils de leur père ne peuvent plus prendre en compte. Un récent rapport de ‘ Save the Children ‘ révèle qu’environ 1,8 million d’enfants sont contraints de fuir ailleurs.

La douleur de la trahison subie ou perpétrée n’a pas encore trouvé d’unité de mesure pour l’estimer. Les conséquences des choix politiques fonctionnels aux idéologies dominantes ajoutent de la douleur aux pauvres que le système de domination a rendus inutiles à la périphérie. La douleur des jeunes dont les rêves d’un avenir possible sont expropriés, vendus et manipulés. La fureur mondiale contre les migrants, qui en sont l’une des expressions les plus libres et les plus pures, génère des ruisseaux de douleur qui, tels des fleuves souterrains, préparent des sources dans le désert. Aucune douleur ne sera perdue parce qu’elle est écrite sur la paume de la main d’une mère, une main sacrée.

 Mauro Armanino, Niamey, septembre 2024

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