Après l’imbroglio à Bamako aux prises avec les terroristes, à Ouaga le ministre de la sécurité publique annonce le projet d’un vaste complot tendant à déstabiliser le régime en place. C’est un truisme de dire que les trois pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) font face aux attaques terroristes chroniques, ce qui rend du coup mitigées les réponses des juntes sahéliennes aux commandes. La double attaque à Bamako, menée par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, ou JNIM), laisse croire de ‘’manière aussi meurtrière que spectaculaire l’extension de la zone d’action du groupe jihadiste dans l’ensemble du Sahel’’. Si les militaires au pouvoir indexent des puissances occidentales comme instigatrices de l’insécurité au Sahel, il reste à se demander si la théorie du complot justifie à elle seule les menaces à la stabilité des juntes sahéliennes quand on sait que les fauteurs de trouble sont des citoyens des pays de l’AES civils ou militaires.
N’est-ce pas les conséquences de l’option stalinienne au Sahel où l’on a tendance d’user et d’abuser du pouvoir d’Etat jusqu’à déclarer urbi et orbi que ‘’la liberté individuelle n’existe pas’’ ? N’est-ce pas enfin de bonne guerre au regard du contexte de rivalité géopolitique au Sahel ? Autant de questions qui exigent une analyse rigoureuse pour cerner les contours de la situation actuelle au Sahel.
Il est attribué à l’ancien ministre de l’intérieur français, Charles Pasqua cette boutade : « Quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire, et si nécessaire une autre affaire dans l’affaire, jusqu’à ce que personne n’y comprenne plus rien. » Cette boutade fait recette au Burkina Faso où le capitaine Ibrahim Traoré ne cesse de découvrir des complots tendant à le renverser. Conscient de la défaillance de sa réponse face aux attaques terroristes qui sèment la désolation au Burkina Faso, le chef de la junte a pleine conscience que de la même façon qu’il avait comploté contre Damiba, d’autres frères d’armes pourraient être tentés de le renverser avec les mêmes motifs qu’il a utilisés pour justifier son irruption au pouvoir. L’on se souvient de son récent coup de maitre où l’on a fait croire qu’il serait exfiltré d’un Conseil des ministres après des tirs à l’arme lourde dans les locaux de la télévision nationale. «Un incident de tir a eu lieu l’après-midi du mercredi 12 juin 2024, près de la Radiodiffusion télévision du Burkina (RTB) ». Un stratagème utilisé par la junte, le temps de régler quelques comptes à certains suspects et mal-pensants. Le capitaine IB avait laissé courir les rumeurs les plus folles avant de faire son apparition à la mosquée puis à l’Université, apprend-on. “ A force d’inventer des complots, on finit par en être victime”, a averti un analyste.
Du complot déjoué par la junte burkinabé
« Ils ont pour alias “le voyageur”, “le patriarche”, “Rodriguez”, “Taylor”, “Akoshi”… Ils sont officiers, journalistes, anciens élus, et se seraient également associés avec des marabouts ou des commerçants. Ils devaient, en plus d’attirer de “nouveaux terroristes” dans leur entreprise, “recruter 500 mercenaires en provenance d’un pays européen en vue d’attaques à grande échelle de Ouagadougou visant à semer la terreur”. Leur objectif : renverser le président Ibrahim Traoré », rapporte un confrère. A en croire le ministre de la sécurité publique Mahamadou Sana, ce vaste complot serait ourdi à Abidjan (Côte d’Ivoire), avec “des réunions de planification au Ghana” et le concours de “certains services de renseignements de puissances occidentales” ainsi que d’éléments des groupes djihadistes sahéliens affiliés à Al-Qaida et à l’organisation État islamique.
L’officier Ahmed Kinda accusé de complot contre Ibrahim Traoré est ex-commandant des forces spéciales et proche de l’ancien président de la transition, Paul-Henri Sandaogo Damiba. Ahmed Kinda est décrit par Ouagadougou comme le cerveau de « plusieurs tentatives de déstabilisation », apprend-on.
Ce complot déjoué fait l’actualité au Faso voire dans l’AES puisque les situations s’imbriquent plus que jamais dans les trois pays alliés. Sauf que pour certains analystes, le capitaine Ibrahim Traoré a maille à partir avec la situation à Barsalogho où on parle de plus de 400 morts suite à une attaque terroriste le 24 août dernier. Dans une déclaration rendue publique le 24 septembre, le Collectif Justice pour Barsalogho appelle “les filles et fils du Sanmatenga à avoir une pensée pieuse pour nos parents tués dans les tranchées commanditées par le président Ibrahim Traoré. Voici donc un mois, 30 jours, que plus de 400 de nos parents sont partis laissant leurs proches dans la souffrance, le traumatisme, la douleur et la peur. 30 jours après, la nation entière et les hommes justes restent affligés continuellement par les faits inhumains et de déshonneur dépassant l’entendement du burkinabè et de l’homme africain.”
Le Collectif Justice pour Barsalogho de marteler : “Le dernier épisode du « 30 jours chrono Barsalogho » c’est l’annonce d’un complot par le ministre de la sécurité sur les antennes de la RTB, ce lundi 23 septembre 2024. Cette veille du trentième jour de la tragédie du 24 août a été aussi une soirée noire, une autre tragédie pour nous les ressortissants de Barsalogho. Nous appelons le gouvernement à mettre fin à cette nécro-théâtralisation qui a cours depuis 30 jours. Le sang sacré de nos parents ne doit pas servir d’encre pour écrire des films de propagande pour des intérêts de pouvoir”. C’est dire que la théorie du complot a des limites face au revers de la junte burkinabè sur le plan sécuritaire. En réaction à l’annonce du complot, Newton Ahmed Barry, ancien président de la Commission Electorale, et dont le nom a été cité par le ministre de la Sécurité écrit : “Aux putschistes qui ont peur des putschs ! C’est une excellente nouvelle que nous puissions vous terroriser comme vous terrorisez notre pauvre population qui ne sait plus où se mettre aujourd’hui”.
C’est un rappel, depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine putschiste, en octobre 2022, le Burkina Faso vit au rythme des enlèvements et des enrôlements forcés de ses opposants, civils comme militaires. Parmi les leaders du complot contre IB figurent des noms d’hommes politiques et intellectuels bien connus, ce qui conforte la thèse d’une opposition politique à la junte. Dans cette optique, le recours à la force est mal perçu y compris par ceux qui ont eu à y faire recours contre les institutions républicaines.
Après la mise entre parenthèses des institutions au Mali, au Burkina Faso et au Niger, peut-on dire aujourd’hui que les juntes sahéliennes rassurent sur les objectifs pompeusement annoncés pour justifier leur démolition des institutions républicaines ? Très malheureusement, certains citoyens de ces pays qui ont cédé au populisme sont en train de déchanter : ils ont sacrifié les libertés fondamentales pour se retrouver dans l’impasse. Les promesses sécuritaires s’avèrent être un mirage et les libertés publiques sont de plus en plus menacées. La maxime prêtée à Benjamin Franklin en dit long :« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et finit par perdre les deux ».
En d’autres termes, au delà de la théorie du complot, la gestion sécuritaire des juntes sahéliennes porte des germes d’instabilité en ce sens qu’elles sont susceptibles de générer des oppositions internes. L’option stalinienne qui consiste à la mise en place d’un État policier totalitaire centralisé, l’emploi de la force et de la terreur comme mode de gouvernement est porteuse de périls contre les juntes elles-mêmes. Au lieu d’avoir des postures dialogiques pour décrisper les situations, les juntes au pouvoir ont tendance à instaurer la pensée unique avec le rapport de force comme seule alternative mise en avant. “Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit, et l’obéissance en devoir”, a mis en garde Jean Jacques Rousseau.
Elh. M. Souleymane
L’Autre Républicain du jeudi 26 septembre 2024