L’échange de correspondances entre le Comité Prix Mo Ibrahim et l’ancien président Issoufou Mahamadou défraie la chronique depuis le mardi 13 août où la réponse de ‘’l’APRIM’’ a fait le buzz sur les réseaux sociaux. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le Comité Mo Ibrahim a bousculé Issoufou de sa zone de confort en le passant à un interrogatoire apparemment très musclé. Dans une posture inconfortable, la seule issue pour l’ancien président est de faire profil bas pour éviter la colère de Mo Ibrahim prêt à lui retirer le fameux prix. Un an après, il a fallu le Comité Mo Ibrahim pour forcer la main à ‘’Zaki’’ afin de se prononcer clairement sur le coup d’Etat du 26 juillet 2023. “Je condamne le coup d’Etat intervenu, au Niger, le 26 juillet 2023”, a déclaré l’ex président. Est-ce à dire qu’Issoufou Mahamadou a préféré préserver son Prix Mo Ibrahim à son soutien à sa garde prétorienne ? Est-ce également l’option d’un exil doré en lieu et place des délices de Kombo ?
L’on constate que le Comité Mo Ibrahim a choisi le 26 juillet 2024 soit exactement un an après le putsch intervenu au Niger pour procéder à son interrogatoire. Ou disons demander des comptes à Issoufou Mahamadou, le dernier récipiendaire du Prix Mo Ibrahim après l’alternance démocratique qui a consacré la succession, pour la première fois au Niger, d’un civil à un autre civil à la tête de l’Etat. A lire sa réponse datée du 1er août 2024, l’on comprend que Issoufou Mahamadou répondait à des injonctions de ce Comité Mo Ibrahim qui menacerait de sévir au regard de la posture ou du présumé rôle joué par Issoufou Mahamadou dans la démolition des institutions républicaines. Sans avoir lu la lettre adressée à Zaki, le lecteur peut comprendre que la préoccupation essentielle du Comité c’est d’avoir une fois pour toutes la position d’Issoufou Mahamadou sur le putsch de Tiani.
Dès le début de sa lettre, l’ancien président a rappelé qu’en plus du président Bazoum et son épouse, il y a les autres dignitaires en prison dont son propre fils incarcéré à 200 km de la capitale, Niamey. Ensuite, il a apprécié la valeur du Prix Mo Ibrahim sur le continent africain pour la démocratie, l’Etat de droit et la redevabilité.
“C’est justement, sur la base de ces principes et valeurs, que j’ai condamné, dans des termes appropriés et adaptés à la situation, les événements du 26 juillet 2023. Cette condamnation était traduite dans le tweet suivant, en date du 30 juillet 2023 : “depuis le 26 juillet dernier, notre pays est entré dans une phase difficile de son histoire. Face à cette situation grave qui le secoue, je me suis employé par diverses voies, à trouver une issue négociée permettant notamment de libérer le président Bazoum et de le restaurer dans ses fonctions. Tant qu’il y a un espoir d’y parvenir je poursuivrai sur cette voie…”
Ceci dit, il explique ensuite aux membres du Comité Mo Ibrahim comment l’option de l’intervention militaire de la CEDEAO a changé le cours des évènements. Il s’est opposé comme il l’a fait de l’intervention de l’OTAN en Libye. Pourtant, il avait, en son temps, préconisé la manière forte contre la junte qui a renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta au Mali.
Mais le diable se trouve dans le détail, dit-on. La référence au mythe de Sisyphe faite par Issoufou Mahamadou est sujette à interprétation. “L’instabilité que vit mon pays me rappelle le mythe de Sisyphe”, a-t-il martelé. Qui serait dans le rôle de Sisyphe : le général Tiani ou lui-même, se demandent les analystes.
Comment la junte va apprécier ce choix cornélien fait par Issoufou Mahamadou ? Pourra-t-il continuer de bénéficier du traitement de faveur et la protection de Tiani comme d’habitude ? Étant absent du territoire, son retour est très attendu pour la suite des évènements. Déjà certains laboussanistes considèrent sa réponse au Comité Mo Ibrahim comme un crime de lèse-majesté.
La posture d’Issoufou Mahamadou après le putsch
Le narratif suivant permettra au lecteur de mieux comprendre le tweet auquel fait allusion Isssoufou Mahamadou. A l’annonce du coup d’Etat, le mercredi 26 juillet 2023, il y a eu une réaction spontanée des militants roses convaincus de la nécessité de préserver l’ordre constitutionnel, ce qui est dans la droite ligne du PNDS-Tarayya. Des blessés avaient été enregistrés, suite à une manifestation de rue pour dénoncer le coup d’Etat. Les femmes du PNDS avaient également réagi à travers une déclaration. A cette occasion, le siège du parti a été pris d’assaut par la foule laboussaniste. Tout a été saccagé, des femmes violentées, des véhicules caillassés, bref tout était bouleversé tant la violence était inouïe, créant ainsi un précédent dangereux dans le pays. La Mouvance pour la Renaissance du Niger (MRN), la majorité présidentielle, avait publié une déclaration de principe. Le PNDS-Tarayya, sous la houlette de son président Foumakoye Gado, avait publié une série de communiqués très engagés pour dénoncer la forfaiture du 26 juillet et défendre l’ordre républicain. Entre-temps, Foumakoye Gado a été mis aux arrêts avec d’autres dignitaires de la 7ème République. C’est après cette arrestation de Foumakoye Gado que le PNDS-Tarayya avait basculé dans son accompagnement au coup d’Etat sous influence d’Issoufou Mahamadou. Deux communiqués contradictoires, un signé par le Vice-président du parti Hassoumi Massoudou et l’autre par le secrétaire général Kalla Ankourao avaient annoncé la ligne de démarcation : le premier dénonce la démolition des institutions républicaines et l’ordre constitutionnel tout en demandant le rétablissement du président de la République élu, et le second fait profil bas en prenant clairement de liberté par rapport aux valeurs et principes du parti. Ce communiqué réactionnaire signé par le secrétaire général datant du 15 septembre 2023 corroboré par un tweet d’Issoufou Mahamadou a usé et abusé de la délibération du Présidium du PNDS. Ce qui a eu pour conséquence, un contre communiqué signé par le Vice-président du parti. Cela prouve à suffisance le clash, la rupture au sein du Présidium où certains (le camp d’Issoufou Mahamadou) ont décidé de s’acoquiner avec la junte en prônant la realpolitik, et d’autres de rester fidèles aux principes du parti.
Pour la postérité, ces camarades porteurs d’eau de la junte ont eu la responsabilité historique de trahir le noble projet de société qu’est le PNDS-Tarayya. Dans ce glissement ou revirement, Issoufou Mahamadou a été une pierre angulaire. Là, il n’est plus question du rôle qu’il aurait joué en amont dans la réalisation du coup de Jarnac du 26 juillet 2023. Il est plutôt question ici du respect de la ligne historique du parti. Nul doute, une aile du PNDS a adhéré au putsch, elle est complice du laxisme observé par ce parti. Ceux-là ne sont pas seulement accusés par des mal-pensants. Ils ont posé des actes à travers leurs structures créées, des médias acquis à leur cause pour anéantir tout élan de lutte conforme à la ligne du parti. Comme des brebis galeuses, le dialogue est conditionné à leur retour dans les rangs. Il n’y a pas d’approche dialogique possible sans le respect du fil conducteur du parti. Ils étaient hier anti coups d’Etat d’ici et d’ailleurs, mais ils sont complices du coup d’Etat au Niger qui s’est produit ‘’sous un ciel tranquille’’, comme dirait l’autre. Très malheureusement, aujourd’hui, ils se retrouvent dans une impasse. La situation sécuritaire du pays mise en avant pour perpétrer le coup s’avère être un argument fallacieux tout comme la bonne gouvernance n’est pas au rendez-vous.
Mais contre toute attente, depuis le coup d’Etat du général Tiani, Issoufou Mahamadou se trouve dans le camp des forces rétrogrades. On ne cesse de le rappeler, Issoufou était un farouche adversaire des putschistes d’ici et d’ailleurs. Tout le monde est consterné par sa posture actuelle et surtout son silence assourdissant face au sort de son camarade et ami Mohamed Bazoum mais aussi de son héritage politique. Nous l’avons dit plus haut, Issoufou Mahamadou a joué un rôle primordial pour que son aile accompagne la junte. Aujourd’hui, les analystes savent que le récipiendaire du Prix Mo Ibrahim a rendu un grand service à la junte. Et pour ce service rendu, la junte lui est redevable sans aucune considération et référence à ce qui se serait passé en amont entre lui et la junte ou Tiani. Dans cette optique, comment croire un seul instant à sa réponse démagogique au Comité Mo Ibrahim ?
Au regard de sa proximité avec le président Bazoum, la référence de Issoufou au mythe de Sisyphe parait prémonitoire pour lui-même plus que pour le général Tiani. Time will tell.
Elh. M. Souleymane
L’Autre Républicain du jeudi 15 Aout 2024