Enfin. Le chef de la junte nigérienne, le général de brigade Abdourahamane Tiani, s’est doté d’une Vision, c’est-à-dire les orientations qu’il entend imprimer dans la gestion de l’Etat au cours de la transition. Apparemment, la transition va commencer même si personne ne connait son échéance.
C’est le Premier ministre Ali Mahaman Lamine Zeine qui a été commis pour présenter la Vision du général Tiani pendant la transition, au cours d’un point de presse qu’il a tenu, ce samedi 13 juillet, à son cabinet.
Après un bilan de l’évolution politique de notre pays depuis son indépendance, il est fait une sorte de réquisitoire sur les déceptions engendrées par notre expérience démocratique. C’est pourquoi, pour le général Tiani, il entend « bâtir une véritable démocratie porteuse de nouvelles valeurs civiques ancrées dans notre culture et conduite par des dirigeants patriotes engagés pour le bonheur du peuple. » Quel est le prototype du dirigeant patriote ? Il en constitue certainement un, ce d’autant que pour lui, il faut « rompre d’avec les anciennes logiques partisanes, claniques, régionalistes, ethnocentristes, clientélistes et le culte de la personnalité qui ont dévoyé la démocratie nigérienne ». Il reste motus et bouche cousue quant aux stratégies qu’il entend mettre en œuvre pour mettre fin à ces contre-valeurs. Allait-il dissoudre les partis politiques pour qu’ils se reconstituent sur de nouvelles bases plus « saines » ?
La Vision du général Tiani est de « bâtir un Niger nouveau où les Nigériennes et les Nigériens unis et solidaires, décident souverainement pour notre patrie et dans l’intérêt supérieur de notre peuple… ». Si les Nigériens doivent décider souverainement pour leur pays, pourquoi alors ne pas soumettre à leur décision le retrait de la CEDEAO et la création concomitante de l’AES que Tiani considère comme le 1er espace d’intégration régionale et de co-développement pour notre pays ?
En attendant, voyons les quatre axes stratégiques de la Vision Tiani.
Les axes stratégiques
Cette Vision se fonde sur quatre axes stratégiques en vue de refonder l’Etat, et redéfinir notre pacte social et politique. Les quatre axes se rapportent au renforcement de la sécurité et de la cohésion sociale, à la promotion de la bonne gouvernance, au développement des bases de production pour la souveraineté économique et à l’accélération des réformes sociales.
En ce qui concerne le renforcement de la sécurité et de la cohésion sociale, la Vision ne fait pas le bilan d’un an de gestion par le CNSP. Le constat est que la situation sécuritaire s’est gravement détériorée. Il fallait interroger les raisons de cette contre-performance quand on sait qu’avant le 26 juillet 2023, la situation sécuritaire était globalement sous contrôle.
Pour le reste, la Vision ne propose que ce que les régimes précédents ont fait notamment sur les accords de coopération, le renforcement des capacités opérationnelles des Forces de Défense et de Sécurité en termes de recrutement, de formation, d’acquisition des matériels, etc.
Sur le renforcement de la cohésion sociale, le bilan du président Mohamed Bazoum parle de lui-même avec la tenue des foras intercommunautaires sur la paix et la sécurité, et à l’occasion desquels des communautés locales signent des accords de paix pour renforcer leur vivre-ensemble.
Aujourd’hui, la cohésion sociale, pilier essentiel du vivre-ensemble, tend à être mise à mal. L’intolérance s’est développée de manière manichéenne entre « patriotes » qui soutiennent la junte, et « apatrides » qui se battent pour la démocratie et l’ordre constitutionnel. Les discours qui stigmatisent prennent toute une autre tonalité mettant en danger la cohésion sociale. Qu’a-t-on fait pour rapprocher les communautés, à l’image du processus engagé par le ministre de l’Intérieur du gouvernement Bazoum, Hamadou Adamou Souley, qui a supervisé personnellement des fora qui ont abouti à des accords de paix entre communautés qui ont passé de très longues années en conflit ?
Sur la promotion de la bonne gouvernance, la Vision prévoit des reformes relatives à la stabilité politique et institutionnelle, à la pertinence des choix stratégiques, à l’efficacité du système judiciaire, de l’administration et de la gestion de l’économie. Ces voeux tranchent radicalement d’avec la réalité que les Nigériens vivent actuellement. Comment le système judiciaire peut-il être efficace lorsque l’exécutif contrôle son fonctionnement ? Dans ces conditions, comment l’indépendance de la justice pourrait être assurée ? L’exemple le plus emblématique est celui de la Cour d’Etat, instrumentalisée dans le cadre de la gestion du dossier Bazoum, où les droits de la défense ont été royalement ignorés, où tout est fait pour que le président Bazoum soit condamné sans qu’il ne soit entendu encore moins ses avocats. Comment expliquer que des collaborateurs du président Bazoum (ministres, député, administratifs, agents de sécurité) et même ses parents et ceux de son épouse sont en prison depuis un an, sans qu’on ne sache réellement pour quelle raison.
On peut en dire autant de l’administration ou encore de la gestion de l’économie où on ne tient pas forcément compte de l’intérêt du pays comme le prouve la fermeture de la frontière avec le Bénin ou le prêt contracté avec la Chine avec un taux d’intérêt plutôt élevé. Les actes du général Tiani et de son équipe doivent être en cohérence avec leurs professions de foi.
La bonne gouvernance selon La Vision de Tiani, c’est aussi assurer l’interdépendance des trois pouvoirs constitutionnels (exécutif, législatif et judiciaire) sur la base de laquelle seront élaborés le nouveau code électoral et la nouvelle Constitution.
La bonne gouvernance c’est aussi la souveraineté budgétaire pour être capables de mobiliser les ressources internes à hauteur de 85% dans un premier temps et de 100% par la suite. Aucune échéance n’est indiquée pour atteindre cet objectif.
Le général Tiani entend assurer l’efficacité de la dépense publique et la transparence dans la commande publique. Malheureusement, les actes posés jurent d’avec l’orthodoxie prônée.
L’exemple de l’ordonnance 2024-05 qu’il a promulguée, en janvier dernier, avec effet rétroactif, suffit à lui seul pour voir que ce texte n’est rien d’autre qu’un permis de dilapidation des deniers publics, sans aucune sanction ni contrôle. La transparence et l’intégrité ne sont pas au rendez-vous.
La qualité de la dépense publique doit exclure la construction des « éléphants blancs », ces investissements surréalistes et onéreux et sans aucune plus-value, tout juste par pur populisme.
Sur la gouvernance administrative et locale, les engagements sont du déjà entendu. A la différence que Tiani a préféré dissoudre les conseils régionaux et communaux élus, ruinant ainsi l’expérience que ces exécutifs locaux ont développée dans le cadre de l’administration de proximité.
La bonne gouvernance, c’est aussi le respect des lois, le respect postes/emplois, la bonne utilisation de l’argent public, des investissements rationnels, le refus de l’exclusion des citoyens en raison de leurs convictions politiques, etc. Avec la junte, rien de cela n’est rigoureusement observé.
Sur l’axe stratégique 3, la Vision du général Tiani va travailler sur des programmes de récupération des terres, de mobilisation des eaux et d’acquisition des équipements et intrants agricoles. Les différents programmes de Renaissance 1, 2 et 3 ont prévu ces actions, et les Déclarations de Politique Générale (DPG) des Premiers ministres successifs ont mis en place des dispositifs pour les opérationnaliser. Tiani propose la mise en place des pôles agro-industriels, une innovation du programme du président Mohamed Bazoum dont la vocation en cette matière est de valoriser les potentiels des différents bassins de production. Ce programme prévoit de créer des petites unités industrielles de transformation des produits agricoles dans ces différents bassins en fonction de leurs spécificités. A la clé, il est prévu un mécanisme pertinent de financement. C’est donc du copier-coller, et c’est tant mieux.
Sur la souveraineté énergétique, les programmes de Renaissance avaient prévu des actions pour mettre à contribution toutes les sources d’énergie. Le président Bazoum était dans cette lancée avec la construction des centrales électriques comme celle de Zinder, solaire de Niamey, la mise en œuvre du projet régional d’interconnexion de la CEDEAO, la poursuite du processus de construction d’une centrale nucléaire à usage civil, etc. De même, dans le cadre de la diversification des corridors, les échanges étaient avancés avec l’Algérie qui envisageait de construire un port sec à Agadez. Des réunions techniques ont été tenues sous la direction du Premier ministre Ouhoumoudou Mahamadou, peu avant les événements du 26 juillet 2023.
Enfin, sur l’axe 4 relatif à l’accélération des réformes sociales, l’accent sera mis sur l’école et la santé, la protection sociale et l’employabilité des jeunes. Sur l’éducation, il s’agira d’adapter le système à la demande sociale, faire l’adéquation entre la formation et l’emploi, développer la formation à distance, renforcer la formation des enseignants, normaliser les années universitaires, etc. Rien de nouveau. Toute la politique éducative, ces dernières années, était orientée vers la qualité de l’offre, la formation des formateurs, l’adéquation formation/emploi (un Ministère spécifique était dédié à la formation professionnelle et technique), la normalisation des années universitaires. A ce sujet, on se rappelle du plaidoyer du président Bazoum lorsqu’il a rencontré les recteurs, le corps enseignant et les étudiants à l’université Abdou Moumouni de Niamey.
Le Programme Sectoriel de l’Education et de la Formation (PSEF), qui est un programme holistique, a pris en charge l’ensemble de ces préoccupations. A ce sujet, les Ministères sectoriels concernés mettent en œuvre diverses activités suivant leurs champs de compétence.
Il en est de même dans le domaine de la santé et de la protection sociale. Des initiatives avaient été menées pour améliorer l’offre de santé, l’accès aux soins de santé, à la protection sociale. Rien d’original par rapport à l’existant.
Sur instruction du président Bazoum, une stratégie nationale d’éradication de la mendicité et son plan d’action avaient été élaborés et validés, en juillet 2023. Cette stratégie devrait permettre de mettre fin à la mendicité et de rompre avec l’assistanat à travers diverses actions prévues à cet effet.
On remarquera que la Vision du général Tiani fait l’impasse sur des thématiques fortes comme le respect des droits et libertés des citoyens, l’effectivité de l’Etat de droit, la durée de la transition, etc. On ne connait pas l’échéance de mise en œuvre de son programme politique.
« La satisfaction des besoins fondamentaux des populations est le pivot de cette vision du général Tiani », précise Ali Mahaman Lamine Zeine. Les besoins fondamentaux des nigériens, c’est la sécurité, la démocratie, l’Etat de droit, la bonne gouvernance, l’accès aux soins de santé, à l’éducation y compris pour les filles et les enfants vivant en zones rurales, l’accès aux produits de première nécessité à faible coût, l’emploi pour les jeunes et les moins jeunes, la promotion des activités économiques et des investissements pour créer la richesse, etc. A cette date, faites le bilan de la satisfaction de ces besoins et vous vous ferez votre propre opinion.
La rédaction
L’Autre Républicain du jeudi 18 juillet 2024