25.2 C
Niamey
20 septembre, 2024
spot_img

LE PROCÈS et LA LOI : Les arguments de la défense du Président BAZOUM que la Cour d’Etat a , par patriotisme, décidé d’ignorer souverainement !

Le débat sur la levée de l’immunité du Président Bazoum s’est déroulé le vendredi 7 juin à la Cour d’Etat. Ou disons la suite du rabat du délibéré du 10 Mai. En se retirant de ce qu’il a appelé ‘’parodie de justice’’, l’ex Batonnier, Me Moussa Coulibaly a confié à la presse : “Vous venez de suivre avec nous le déroulement de ce procès hors normes, vous avez vu les deux incidents qui ont été clôturés par des rejets. La défense du Président Bazoum a conclu qu’il n’y a pas de justice dans ce pays, que si elle existe c’est une justice distributive, une justice à double vitesse et la défense de Bazoum s’est retirée pour les laisser poursuivre leur parodie de justice”. Une copie du mémoire en défense (dont voici la teneur) est parvenue à la rédaction de L’Autre Républicain.

MEMOIRE EN DEFENSE

Pour : Mohamed BAZOUM ————–         Me MOHAMED SEYDOU DIAGNE

Me BRAHIM OULD EBETY

Me FLORENCE LOAN

Me MOUSSA COULIBALY

Contre : MINISTERE PUBLIC

PLAISE A LA COUR

Vu les requêtes du Juge d’instruction et du Substitut du Commissaire du Gouvernement du Tribunal Militaire ;

Vu la Loi 94-003 du 03 février 1994 fixant le régime applicable à la pension des anciens Présidents de la République ; 

I –  IN LIMINE LITIS : DE L’INCOMPETENCE DES CHAMBRES REUNIES DE LA COUR D’ETAT

Les requérants fondent leur action sur la Loi 94-003 du 03 février 1994 susvisée qui, en son article 3, prévoit :

« Les anciens Présidents de la République jouissent de l’inviolabilité et de l’exemption de juridiction. Sauf cas de flagrant délit, ils ne peuvent être entendus, mis en état d’arrestation, gardés à vue, ni poursuivis qu’après la levée de l’immunité qui pourra être ordonnée par la Cour Suprême toutes chambres réunies ». 

La Cour Suprême dont s’agit est celle institué par la Loi 90-10 du 13 juin 1990 déterminant la composition, l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour Suprême qui était composée de quatre (04) chambres et dont l’article

1er stipulait :

« La Cour Suprême comprend quatre chambres : 

  • une Chambre Constitutionnelle ;
  • une Chambre Judiciaire ;
  • une Chambre Administrative ; 
  • une Chambre des Comptes

… ».

Les Chambres réunies qui sont visées à l’article 3 de la Loi 94-003 du 03 février 1994, fondement des requêtes ci-dessus visées sont à l’évidence les quatre (04) chambres telles que prévues par l’article 1er de la Loi 90-10 du 13 Juin 1990. 

La Cour d’Etat instituée par l’Ordonnance 99.08 du 10 mai 1999, déterminant la composition, l’organisation et le fonctionnement de la Cour d’Etat prévoyait en son article 1er comprendre quatre (04) chambres : une Chambre Constitutionnelle, une Chambre Judiciaire, une Chambre Administrative et une Chambre des Comptes. On peut dès lors subodorer que l’expression « Cour d’Etat » se substitue à celle de la « Cour Suprême » dans toutes les dispositions législatives et règlementaires en vigueur à la date de sa signature, et aurait donc pu avoir attribution pour lever l’immunité d’un ancien Président de la République. 

Tel n’est pas le cas des Chambres réunies de votre juridiction instituée par l’Ordonnance 2023-11 du 05 Octobre 2023 en ce qu’elle n’est composée que de deux Chambres, à savoir la Chambre Judiciaire et la Chambre Administrative. 

Certes, l’article 1er alinéa 2 de l’Ordonnance susdite dipose que   

«L’expression ʺ Cour d’Etat ʺ se substitue à celle de ʺ Cour de Cassation ʺ et de ʺ Conseil d’Etat ʺ selon le cas, dans toutes les dispositions législatives et règlementaires en vigueur à la date de signature de la présente Ordonnance ». 

Force est de constater que depuis le décrochage de la Chambre Constitutionnelle érigée en août 2000 en Cour Constitutionnelle et l’éclatement de la Cour Suprême qui a abouti à l’institution d’une Cour de Cassation, d’un Conseil d’Etat et d’une Cour des Comptes, il n’existe aucun texte législatif ou règlementaire subséquent, ni aucune disposition légale subséquente dans l’ordonnancement juridique du Niger qui donne compétence à la Cour de Cassation ou au Conseil d’Etat pour exercer les attributions des Chambres Réunies, telles que prévues par la Loi 9010 du 13 juin 1990 en ce qu’elles sont composées de quatre (04) chambres : une Chambre Constitutionnelle, une Chambre Judiciaire, une Chambre

Administrative et une Chambre des Comptes et de discipline budgétaire.

Qu’il plaise en conséquence à votre juridiction de se déclarer incompétente à connaître de la levée de l’immunité du Président MOHAMED BAZOUM, à moins de se muer en pouvoirs législatif et constituant originels. 

II –  DU DEFAUT DE QUALITE D’ANCIEN PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DU PRESIDENT EN EXERCICE MOHAMED BAZOUM.

1-       Domaine d’application de la loi.

L’article 3 de la loi de 1994 du 03 février 1994 fixant le régime applicable à la pension des anciens Présidents de la République dispose qu’« en dehors de cas de

flagrant délit, un ancien Président ne peut être entendue, gardé à vue, arrêté que si les chambres réunies de la Cour suprême ordonnent la levée de son immunité. » 

Cette loi dispose ainsi sans aucune ambigüité que les anciens Présidents de la République du Niger jouissent d’une inviolabilité et d’une exemption de juridiction.

L’exemption de juridiction renvoie à l’interdiction de déférer l’ancien Président de la République devant les juridictions. La loi précise la nature des actes qui ne peuvent pas être pratiqués sur ces Présidents (audition, poursuite, garde à vue, arrestation) et fixe deux limites à ce principe : une limite de fond (cas de flagrant délit) et une limite procédurale (l’intervention des chambres réunies de la Cour suprême).

La première condition permettant de déclencher la procédure de levée de l’immunité est la qualité d’ancien Président de la République. Monsieur

BAZOUM ne remplit pas cette condition. Il est et demeure chef de l’Etat au regard des dispositions internes du Niger et de la décision de la Cour de justice de la CEDEAO en date du 15 décembre 2023 qui s’impose aux juridictions nationales.

1-1  De sa qualité de Président de la République en exercice en application des dispositions internes.

M. Mohamed BAZOUM a été élu Président de la République du Niger, Chef de l’Etat le 21 mars 2021, pour un mandat de cinq ans à l’issue d’une élection nationale, démocratique, inclusive et transparente, dont les nombreux observateurs internationaux présents dans le pays ont reconnu la régularité et la sincérité. Le Conseil constitutionnel, par arrêt du 21 mars 2021 en proclamant les résultats définitifs, l’a déclaré élu.

Pièce n°1 : Arrêt du Conseil constitutionnel.

Son mandat devait échoir le 21 mars 2026. Cependant, le 26 juillet 2023, soit avant même la moitié du cours de son mandat, le Général Abdourahamane Tiani, nommé par décret présidentiel n°2011-06/PRN du 11 avril 2011 chef de corps de la Garde présidentielle, dont la charge était d’assurer la sécurité du Président de la République, a fomenté et exécuté un coup d’Etat militaire, prétendant renverser l’ordre constitutionnel de l’État du Niger. 

Or, le mandat du Président de la République du Niger prend fin soit par l’arrivée du terme du mandat, soit par la démission, soit par le décès, ou enfin par l’empêchement absolu constaté par la Cour suprême.

Monsieur BAZOUM ne se trouve dans aucune de ces hypothèses. A ce jour, malgré les pressions exercées sur sa personne, il n’a pas démissionné de ses fonctions de Président de la République et son empêchement absolu d’exercer ses fonctions n’a pas été constaté par la haute juridiction.

Les dispositions légales ne prévoient pas la fin du mandat présidentiel « par coup d’état militaire ». Le coup d’Etat est une situation factuelle qui se produit en dehors du cadre légal existant. Cependant, le droit, en particulier le droit constitutionnel, est le fondement de la gouvernance légitime.

Un coup d’État, bien qu’il puisse sembler changer de facto le pouvoir, ne change pas la situation de droit. Il est considéré comme illégal selon le droit international et le droit interne du Niger.

Aucun acte ou décision juridique légale et régulière ne permettant de déclarer que le mandat de Monsieur BAZOUM a pris fin de façon anticipée, il n’a pas la qualité d’ancien Président de la République.

Il est d’ailleurs symptomatique que ni le Juge d’Instruction, ni le Commissaire du Gouvernement du Tribunal Militaire, ni même l’instruction ne s’est posé cette question fondamentale de la qualité d’ancien Président de la République attribué illégalement au Président Bazoum.

Car se poser cette question c’est rechercher la légalité du fait générateur de cette situation de non-droit : « le coup d’Etat militaire » du 26 juillet 2023 dont les auteurs connus de votre juridiction ont commis les crimes de haute trahison (Art. 1er, alinéa 2 de la Constitution du 25 novembre 2010) et de complot contre l’autorité de l’Etat (Art. 78, alinéa 1er du Code Pénal). 

1-2  De la qualité de Président de la République au regard des instruments juridiques internationaux et des décisions de justice.

Les principes de convergence constitutionnelle communs à tous les États membres de la CEDEAO sont consacrés à l’article 1er du protocole a/sp1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la Paix et de la sécurité.

Cet article dispose notamment :

  • « Toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres,

honnêtes, et transparentes.

  • Tout changement anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir. »

Aux termes de l’article 20-1 du même protocole : « L’armée et les forces de sécurité publique sont soumises aux autorités civiles régulièrement constituées ».

En outre, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance dispose en son article 2 qu’elle a pour objectif de :

« Promouvoir l’adhésion de chaque Etat partie aux valeurs et principes universels de la démocratie et le respect des droits de l’homme ».

Aux termes de l’article 14 : « Les Etats parties renforcent et institutionnalisent le contrôle du pouvoir civil constitutionnel sur les forces armées et de sécurité aux fins de la consolidation de la démocratie et de l’ordre constitutionnel.

« Les Etats parties prennent les mesures législatives et réglementaires nécessaires pour traduire en justice toute personne qui tente de renverser un gouvernement démocratiquement élu par des moyens anticonstitutionnels.

« Les Etats coopèrent entre eux pour traduire en justice toute personne qui tente de renverser un gouvernement démocratiquement élu par des moyens anticonstitutionnels ».

Aux termes de l’article 23 : « Les Etats parties conviennent que l’utilisation entre autres, des moyens ci-après pour accéder ou se maintenir au pouvoir constitue un changement anticonstitutionnel de gouvernement et est passible de sanctions appropriées de la part de l’Union : 

1. Tout putsch ou coup d’État contre un gouvernement démocratiquement élu… 4. Tout refus par un gouvernement en place de remettre le pouvoir au parti ou au candidat vainqueur à l’issue d’élections libres, justes et régulières ».

Il résulte clairement des dispositions précitées de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, dont l’un des objectifs clairement exprimés, est de promouvoir « le respect des droits de l’homme », une interdiction des changements anticonstitutionnels, notamment tout putsch ou coup d’État contre un pouvoir civil.

L’irruption de l’armée dans la vie démocratique d’un pays et l’accaparement forcé du pouvoir d’Etat n’est pas considérée par les instruments juridiques sus cités comme étant un mode régulier et légal d’accession à la présidence de la république et de fin d’un mandat présidentiel démocratiquement obtenu.

Les juridictions communautaires appliquant à la lettre ces principes ont déclaré irrecevables les actions engagées par l’Etat du Niger représenté par les auteurs du coup d’Etat.

Confère Arrêt ETAT DU NIGER sollicitant le sursis aux sanctions prononcées à son encontre par l’UEMOA.

La Cour de justice de la CEDEAO a constaté sans ambiguïté que : « le Niger est un État démocratique où aucun moyen anticonstitutionnel d’accès au pouvoir d’État n’est toléré. La Cour est d’avis que le coup d’État survenu le 26 juillet 2023 constitue une violation des dispositions de l’article 1er du Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, qui stipule la subordination de l’armée aux autorités civiles. »

Confère ECW/CCJ/APP/36/23

Au regard de ces décisions de justice et du dispositif juridique tant national qu’international, la qualité d’ancien Président de la République du Niger ne peut être reconnu à Monsieur BAZOUM sans violer gravement et dangereusement l’ordre juridique national et international.

III –  DE        LA       TENTATIVE            D’INSTRUMENTALISATION      DE       LA       HAUTE JURIDICTION.

Pour rappel, l’article 3 de la loi 94-003 du 03 février 1994 fixant le régime applicable à la pension des anciens Présidents de la République dispose qu’en dehors de cas de flagrant délit, un ancien Président ne peut être entendue, gardé à vue, arrêté que si les chambres réunies de la Cour suprême ordonnent la levée de son immunité. 

Or, Monsieur BAZOUM et des membres de sa famille ont été arrêté la nuit du 26 juillet 2023, date du coup d’Etat. Ils sont victimes d’une interdiction de quitter leur résidence, qui est située dans l’enceinte militaire de la junte auteur du coup d’État. Cette interdiction est absolue. Elle s’est même accompagnée de l’installation de chaînes sur les portes du bâtiment.

Cette privation de liberté et de droits qui se perpétue n’a pas permis d’obtenir la levée préalable de l’immunité du Président BAZOUM par la Cour d’Etat.

La présente demande de levée de l’immunité vise en réalité à faire coïncider désespérément une situation de fait au droit.

Ce n’est en effet que le 8 janvier 2024 que le juge d’instruction a saisi le Premier Président de la Cour d’Etat de sa demande de levée de l’immunité de Monsieur BAZOUM en vue de l’inculper pour divers chefs d’infractions aussi injustifiés qu’infondés.

Quid alors du fondement légal de son arrestation voire de sa prise d’otage depuis près d’une année ?

La Cour d’Etat, la plus haute juridiction pays, gardienne de la loi et protectrice des libertés, ne peut faire l’économie de cette interrogation fondamentale.

La demande de levée de l’immunité est préalable à toute arrestation d’un Président de la République. Cette demande qui intervient postérieurement à une arrestation puis une détention de Monsieur BAZOUM vise en réalité à mettre un vernis de légalité sur une détention arbitraire et illégale.

La Cour d’Etat, haute juridiction du pays, ne doit pas accepter d’être instrumentalisée et servir de faire valoir. Cette demande ultérieure de levée de l’immunité est une tentative de légitimer rétroactivement une action qui est initialement illégale.

Une telle tentative doit être avortée et la Cour doit constater, dire et juger que le Président BAZOUM n’a pas la qualité d’ancien Président de la République au regard de la Loi et par conséquent rejeter purement et simplement les requêtes aux fins de levée de son immunité.

Pour Mémoire en défense

(Sous Toutes Réserves)

Niamey, le 03 juin 2024

Me MOHAMED SEYDOU DIAGNE Me BRAHIM OULD EBETY
Avocat au Barreau du Sénégal  Avocat au Barreau de Mauritanie
Ancien Bâtonnier
                                                                     
Me FLORENCE LOAN                   Me MOUSSA COULIBALY
Avocat au Barreau de la Côte d’IvoireAvocat au Barreau du Niger
Bâtonnière Dauphine                           Ancien Bâtonnier

Ancien Bâtonnier

Related Articles

Stay Connected

0FansJ'aime
3,912SuiveursSuivre
0AbonnésS'abonner
- Advertisement -spot_img

Derniers Articles