Le vendredi 10 mai dernier, la Cour d’Etat s’est placée au dessus de la mêlée en accédant à la demande de rabat du délibéré exprimée par les avocats du président Mohamed Bazoum. Ce faisant, les sages ont fait montre de sang-froid, et, par ricochet, consolident leur posture d’arbitre. Ce n’est pas gagné d’avance au regard des velléités de quelques-uns tendant à manipuler l’opinion publique en jugeant et condamnant Mohamed Bazoum dans l’optique d’aller vers une parodie de justice. Contrairement à l’attente des pourfendeurs et bourreaux de Bazoum, la Cour d’Etat a tranché pour le rabat du délibéré au 7 juin 2024. Que retenir de cette décision du 10 mai de la Cour d’Etat ?
Selon le juriste Dr Adamou Issoufou de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar : “Le rabat de délibéré, en droit processuel, intervient lorsque la juridiction revient sur sa décision de trancher le litige à la date qu’elle avait donnée, soit parce qu’elle a besoin d’un complément d’informations, soit parce qu’une des parties au procès le lui a demandé en présentant des motifs valables”.
Et Dr Adamou Issoufou de préciser : “En conséquence, à la date du 7 juin, un nouveau débat aura lieu entre les parties à ce procès. Des arguments, des preuves, des charges, des décharges pourront être invoqués, évoqués et débattus et attendre le délibéré dont la date sera certainement fixée à la fin de l’audience”.
C’est justement ce que le Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Niger, Me Oumarou Sanda Kadri, a confié à la presse juste après la sentence de la Cour d’Etat du 10 mai. Selon lui, la Cour a bien voulu respecter les droits de la défense. L’on se souvient, une semaine avant le délibéré du 10 mai, l’ancien Bâtonnier, Me Moussa Coulibaly, un des conseils du président Bazoum, a écrit, dans une correspondance adressée à la Cour d’Etat intitulée “Chronique d’un procès verrouillé” : “Je sollicite qu’il vous plaise, au nom et pour le compte de mes confrères Me Mohamed Seydou Diagne, avocat au Barreau du Sénégal, et Me Brahim Ebety, ancien Bâtonnier du Barreau de Mauritanie, constitués à mes côtés, de bien vouloir rabattre le délibéré prévu pour l’audience du 10 mai 2024 …“
Dans son argumentaire, le Batonnier Moussa Coulibaly a dit en substance : “Il était de la responsabilité de votre Cour de s’assurer que Mohamed Bazoum et, à tout le moins ses Conseils, soit notifié valablement de la procédure en cours de levée d’immunité afin que le dossier puisse être consulté et qu’il puisse communiquer librement avec ses avocats. Cette obligation, qui incombe à votre juridiction, découle du Règlement n° 05 de l’UEMOA relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace UEMOA qui exige que «devant toute juridiction et en tout état de procédure, la représentation des personnes physiques ne peut être assurée que par les Avocats ».
Autrement, a averti Me Coulibaly : “En ne vous assurant pas du respect de ce principe, votre Cour méconnaît gravement les droits absolus de la défense”.
Dans sa correspondance, Me Coulibaly a bien voulu mettre les hauts magistrats devant leur responsabilité en leur rappelant les valeurs essentielles qui fondent leur juridiction et également les principes universels qui doivent être respectés et pris en compte par la plus haute juridiction du Niger.
Dans ce sens, l’ancien Batonnier a fait appel de la prédication de la vertu par l’exemple en rappelant les prouesses de certains juges nigériens à l’instar de Madame Bazeye Fatimata face à feu Tandja Mamadou, et le juge qui a libéré Salim Bazoum sous le magistère d’Abdourahamane Tiani. “Si contre toute attente, la Cour devrait statuer dans le sens d’une levée de l’immunité, elle aura non seulement légalisé un véritable recel de malfaiteurs mais aussi un blanchiment des évènements du 26 juillet 2023 au sens de la loi pénale en vigueur”, a martelé Me Coulibaly.
C’est dire que les avocats de Mohamed Bazoum n’ont pas prêché dans le désert. La Cour a bel et bien pris acte de leur requête en rabattant le délibéré au 7 juin 2024. Ce qui suppose désormais un vrai procès où les droits de la défense seraient pris en compte et par ricochet ceux de leur client. Les avocats du président Bazoum n’ont pas attendu pour réagir à la décision de la Cour d’Etat le vendredi 10 mai 2024 (lire encadré ci-dessous). Les avocats ont exprimé leurs attentes pour la suite du procès.
Mais le hic, c’est la modification de l’ordonnance sur la Cour d’Etat intervenue pendant que l’affaire Bazoum est pendante devant la Cour. C’est comme qui dirait, il y a eu changement des règles du jeu pendant le match. En effet, la modification de l’article 141 est liberticide pour les avocats en ce sens qu’il les prive de la consultation de certaines pièces du dossier.
Tenez : Voici l’article 141 ancien et nouveau.
- Article 141 : “Les parties ou leurs conseils peuvent prendre connaissance au greffe de la Cour d’Etat, sans déplacement, des pièces du dossier. Aucun mémoire ne peut être produit après le dépôt du rapport”.
- Article 141 (nouveau) : “Les parties ou leurs conseils peuvent prendre connaissance au greffe de la Cour d’Etat, sans déplacement, des pièces des dossiers à l’exception du rapport et des conclusions. Aucun mémoire ne peut être produit après le dépôt du rapport”.
C’est dire qu’avec l’article 141 nouveau, le non accès à certaines pièces du dossier est une obstruction au principe du contradictoire. Et cela incombe au législateur qui est en même temps l’exécutif qui change les règles du jeu en pleine procédure. Du fait de cette modification de l’Ordonnance sur la Cour d’Etat, les avocats auront certes accès au dossier, mais un dossier vidé de l’essentiel. Le principe du contradictoire est ainsi biaisé.
Elh. M. Souleymane
L’Autre Républicain du jeudi 16 Mai 2024
Déclaration du collectif des avocats du Président Mohamed Bazoum
Le Collectif international des avocats du Président du Niger Mohamed Bazoum prend acte de la décision de la Cour d’Etat de donner suite à sa demande de rabat de délibéré. Les avocats demandaient à la Cour de ne pas délibérer sur la demande de levée de l’immunité du Président Bazoum tant que ceux-ci n’avaient pas eu l’opportunité de voir leur client, d’accéder au dossier et de présenter des arguments. La juridiction a renvoyé l’affaire au 7 juin pour reprise des débats.
Les avocats restent déterminés et demandent aux autorités de fait et à la Cour d’Etat de :
– Faire cesser immédiatement la séquestration illégale du Président Bazoum et de son épouse Hadiza Bazoum, détenus depuis le coup d’Etat du 26 juillet 2023, tel qu’ordonné par la Cour de justice de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) le 15 décembre 2023,
– Permettre aux avocats de rencontrer leur client sans aucune restriction,
– Donner accès aux avocats à l’intégralité du dossier,
– Permettre à l’ensemble des avocats du Président Bazoum de présenter leurs arguments contre la levée de l’immunité à la prochaine audience.
Fait à Niamey, le 10 mai 2024.
Brahim Ould Ebety, ancien bâtonnier de Mauritanie
Florence Loan, bâtonnière dauphine de Côte-d’Ivoire
Mohamed Seydou Diagne, avocat au barreau de Dakar
Moussa Coulibaly, ancien bâtonnier du Niger
Reed Brody, avocat au barreau de New-York