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6 octobre, 2024
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Interview exclusive : Moussa Tchangari répond aux questions brulantes de l’actualité

« Le coup d’Etat militaire du 26 juillet n’est pas forcément une catastrophe pour tout le monde dans les rangs du PNDS-Tarrayya; car, comme le disent certains, et je suis aussi du même avis, il a toutes les allures d’une révolution de palais », déclare A.T. Moussa Tchangari

Moussa Tchangari est présentement Secrétaire général de l’Association Alternative Espaces Citoyens. Ancien cadre de l’Union des scolaires nigériens (USN), journaliste et aujourd’hui un des acteurs de la société civile les plus en vue, cet altermondialiste est un des rares acteurs de la Conférence nationale souveraine à rester constant dans la défense de l’intérêt général et les principes démocratiques. À travers cet entretien, il se prononce sur le coup d’Etat du 26 juillet 2023, le comportement des contre-pouvoirs, le défi sécurité et la pérennité de notre processus démocratique.

L’Autre Républicain : Du 26 juillet 2023 à aujourd’hui, il s’est opéré, comme qui dirait, une mutation extraordinaire des mentalités au Niger. Comment expliquez-vous ce changement brusque considéré comme une révolution par quelques-uns ?

A.T. Moussa Tchangari : Je suis vraiment désolé, mais je ne pense pas que les mentalités aient vraiment évolué au Niger. Comme vous devrez le savoir, les mentalités, celles des Nigériens ou de tout autre peuple, n’évoluent pas significativement en si peu de temps ; même s’il est vrai qu’il arrive parfois que certains événements, comme ceux intervenus en juillet 2023 au Niger, créent l’illusion d’une certaine mutation, eu égard notamment à la montée de la fièvre patriotique consécutive aux sanctions et menaces de la CEDEAO. Les changements politiques suscitent généralement une certaine euphorie à la mesure toujours du désarroi dans lequel les gens se trouvent au moment où ils interviennent ; mais, nous sommes très loin d’assister à une révolution.

A mon humble avis, les événements de l’année dernière, tout comme d’ailleurs les violences que nous avons observées au lendemain des élections générales de 2021, ont surtout été un révélateur des rancoeurs et des ressentiments nourris par douze années de gestion du pouvoir par le PNDS-Tarrayya ; et même si ces rancoeurs et ressentiments se sont exprimés surtout à travers des actes de violence et des appels à la vengeance dont le caractère quelque peu inédit n’a échappé à personne, on ne peut pas dire qu’ils relèvent à proprement parler d’une mutation profonde des mentalités. On peut dire que tout cela était parfaitement prévisible dans un pays où l’esprit partisan est très fort et où la tentation de la violence reste également forte.

A certains égards, on peut aussi dire que les événements du 26 juillet ont été une sorte d’heure de vérité pour nombre d’acteurs de la scène politique, sociale, économique et médiatique ; car, ils ont permis non seulement de mesurer le degré d’attachement de tous à certaines valeurs qu’ils disent défendre, mais aussi de mieux comprendre les motivations réelles, parfois inavouables, de leurs agissements antérieurs et présents. Comme nous l’avons souligné dans une tribune que nous avons publiée à l’époque, ces événements ont été un révélateur des divisions et clivages divers qui traversent la société nigérienne ; et donc on peut dire que, sur la durée, tout cela peut finir par changer le regard que les gens portent sur eux-mêmes et sur les autres.

L’Autre Républicain : Il est curieux d’observer certains acteurs issus des organisations de la société civile contribuer à la démolition de notre processus démocratique. Selon vous faut-il renoncer à la démocratie au nom de la sauvegarde de la patrie ?

A.T. Moussa Tchangari : Personnellement, je ne trouve pas curieux de voir certains acteurs de la société civile contribuer à la démolition de notre processus démocratique ; car, comme vous le savez, tous les acteurs de la société civile ne sont pas forcément des démocrates. La société civile est une sphère plurielle sur tous les plans ; et le seul point commun de ses acteurs, est d’appartenir à cette sphère. L’intérêt que portent à la démocratie certains acteurs de la société civile se limite strictement aux opportunités qu’elle leur offre ; et il faut bien avoir conscience que beaucoup d’entre eux sont même parfois des « fachos » assumés, capables justement de prendre une part active à l’œuvre de démolition du cadre légal qui permet l’existence même de leurs organisations. 

Bien entendu, il y a au sein de la société civile beaucoup de démocrates sincères, des hommes et des femmes qui se sont battus pour l’instauration de la démocratie et qui sont encore prêts à consentir des sacrifices pour sa restauration. Ceux-là n’opposent pas d’ailleurs démocratie et sauvegarde de la patrie ; et ils pensent même, comme nous, que la tentation autoritaire reste et demeure, hier comme aujourd’hui, la plus grande menace pour la sauvegarde de la patrie.

Les soutiens zélés des juntes sahéliennes, et même parfois quelques brillants intellectuels, essaient de nous faire admettre que tous les problèmes de nos pays ont commencé avec l’avènement de ce qu’ils appellent la démocratie importée voire imposée de l’extérieur ; mais, quand on écoute bien leurs diatribes sur ce sujet, l’on est frappé autant par la justesse de certains griefs qu’ils font à celle-ci, et qui portent d’ailleurs essentiellement sur la pratique qui en est faite dans nos contrées, que par l’absurdité des solutions qu’ils proposent ou soutiennent, et qui se résument à un retour à l’autoritarisme d’antan.

Ainsi, comme certains d’entre eux le disent clairement, ils préfèrent des régimes militaires autoritaires assumés à des démocraties bancales, estimant qu’ils peuvent apporter certainement aux peuples ce que ces dernières n’ont pas pu apporter ; mais, nous savons tous que de tels régimes peuvent aussi reproduire, voire amplifier, toutes les tares qui ont émaillé les années d’expérience démocratique, sans donner aux citoyens la possibilité de se lever contre. Les soutiens des juntes disent également préférer les coups d’État militaires à des élections truquées, sur fonds de corruption et d’instrumentalisation des sentiments ethniques et régionalistes ; mais, nous savons tous, et certains soutiens des juntes plus que nous d’ailleurs, que les coups d’État militaires peuvent aussi être alimentés par la corruption et des relents ethno-régionalistes.

L’Autre Républicain : En novembre 2023, dans une tribune intitulée « le Sahel face au péril militariste », vous avez mis en évidence la caricature faite de la démocratie par les soutiens de la junte selon laquelle la démocratie « ne servirait qu’à diviser pour mieux régner au Sahel ». Apparemment au Sahel tout est mis en œuvre pour discréditer le modèle démocratique. Quelle est votre lecture de ce contexte sahélien avec le recul ?

A.T. Moussa Tchangari : Je ne parlerai pas de modèle démocratique ; car, pour moi, il n’existe pas un modèle unique de démocratie. Le débat sur la démocratie gagnerait certainement en clarté si on évitait même de parler de modèle, pour ne considérer que les éléments distinctifs de tous les systèmes politiques qui s’en réclament ; car, comme je viens de le dire tantôt, les griefs faits aux systèmes politiques se réclamant de la démocratie par certains de leurs pourfendeurs, en dehors naturellement des partisans assumés de l’autoritarisme, ne portent pas sur les principes sur lesquels ils sont établis. Ce qui est justement décrié, et je l’entends également, c’est le dévoiement de ces principes qui se traduit par toutes sortes de dérives contre lesquelles nous n’avons de cesse de nous élever depuis des années.

Comme je l’ai souligné dans la tribune à laquelle vous faites allusion, le contexte sahélien est marqué par le retour à l’autoritarisme d’antan, suite à des coups d’Etats militaires; mais, il faut dire qu’il y avait déjà une certaine tentation autoritaire, qui se manifestait par des atteintes graves aux droits et libertés, et par la vogue des discours fascistes tentant d’établir un lien de cause à effet entre l’avènement de la démocratie multipartite et la crise sécuritaire que traversaient les pays sahéliens. Les tenants de ces discours soutiennent, en effet, que l’avènement de la démocratie a été un facteur sérieux de déstabilisation des États ; reprenant ainsi à leur compte les analyses de certains intellectuels qui affirment que la démocratisation a ouvert la voie à un affaiblissement de l’autorité de l’État, avec la multiplication d’actions de défiance allant des grèves des travailleurs à des mouvements d’humeur d’hommes de troupe.

Bien entendu, je ne partage pas ces analyses ; et je considère pour ma part que l’affaiblissement des États au Sahel résulte plutôt du refus des élites au pouvoir d’opérer la nécessaire rupture d’avec l’ordre ancien. C’est le lieu de rappeler que la crise politico-sécuritaire en cours dans cette région est d’abord une crise de légitimité de l’État postcolonial ; et la critique que l’on peut valablement adresser aux régimes civils balayés aujourd’hui par les militaires, c’est qu’ils ont manqué de créer les conditions permettant aux citoyens d’être maîtres de leur destin et de bénéficier des garanties indispensables à la jouissance de leurs droits civils et politiques, ainsi que des droits économiques, sociaux et culturels. Ce n’est pas ce que les juntes militaires se proposent de réaliser ; et donc, la crise risque encore de durer longtemps.

L’Autre Républicain : Dans la même tribune vous expliquez : “la politiique d’ouverture et de dialogue, initiée par le président Bazoum dès son entrée en fonction, s’est heurtée à deux obstacles importants : d’abord, le manque de soutien clair de son camp politique, à commencer par son propre parti, le PNDS-Tarrayya, dont le véritable chef, Issoufou Mahamadou, appréhendait largement cette politique comme une menace pour ses intérêts”. A l’occasion de la fête du Ramadan on a vu Issoufou s’afficher à la mosquée et au palais présidentiel avec le général Tiani. Comment interprétez-vous cette sortie de Issoufou Mahamadou qui s’est montré très farouche face au putschiste Ibrahim Baré Mainassara et intransigeant face aux putschistes de la sous-région ?

A.T. Moussa Tchangari : Oui, je continue à penser que la politique d’ouverture et de dialogue initiée par le président Bazoum méritait d’être soutenue par tous les acteurs politiques et sociaux ; et aujourd’hui, avec le recul, je suppose que la plupart des acteurs ont réalisé que l’alternative au dialogue c’est ce qui est finalement arrivé, c’est-à-dire un coup d’Etat militaire qui plonge le pays dans une sorte d’incertitude. Bien entendu, tout le monde n’est pas aux regrets à ce sujet, aussi bien au sein de la classe politique que de la société civile ; car, comme vous devrez le savoir, c’est bien parce qu’ils souhaitaient justement un coup d’Etat militaire que beaucoup n’ont pas voulu saisir l’opportunité qu’offrait cette politique.   

Aujourd’hui, dix (10) mois après le renversement du président Bazoum, il me semble que dans les rangs du PNDS-Tarrayya et de ses partis alliés, beaucoup ont compris qu’ils ont eu tort de ne pas soutenir sa politique d’ouverture et de dialogue ; mais, il me semble également que certains, notamment dans la sphère des affaires, sont toujours convaincus d’avoir bien fait de ne pas apporter leur caution à cette politique qui risquait de remettre en cause leurs intérêts. Contrairement à ce que pensent beaucoup de Nigériens, le coup d’Etat militaire du 26 juillet n’est pas forcément une catastrophe pour tout le monde dans les rangs du PNDS-Tarrayya; car, comme le disent certains, et je suis aussi du même avis, il a toutes les allures d’une révolution de palais.

A certains égards, on peut même dire que ce coup d’Etat militaire représente une opportunité presque inespérée pour “le système PNDS-Tarraayya” de se renouveller et de se maintenir encore longtemps ; et je pense que certains l’ont très bien compris depuis le début, comme en témoignent éloquemment le soutien qu’ils continuent d’apporter à la junte militaire et tous les efforts qu’ils déploient pour qu’elle renonce elle aussi à son initiative de dialogue national. C’est peut-être un peu difficile à entendre pour certains, aussi bien dans les rangs de son parti que dans d’autres milieux, mais je comprends bien le choix du président Issoufou de s’aligner derrière une junte militaire dirigée par un de ses hommes de confiance ; car, il faut bien admettre qu’il n’a pas plus à craindre de cet homme, qui a assuré sa sécurité pendant 10 ans, que de son compagnon Bazoum, qui voulait se démarquer en douce de sa politique.

Comme vous, je ne suis pas dans le secret du président Issoufou; mais, je me dis qu’il sait ce qu’il fait en soutenant la junte militaire. Je fais abstraction de tout ce que nous savons tous ou que nous avons entendu dire au sujet de son implication présumée dans le coup d’Etat du 26 juillet ; mais, je me dis que s’il n’a pas clairement pris parti pour son compagnon de 30 ans, c’est qu’il espère tirer un quelconque profit de la situation ou simplement qu’il ne l’appréhende pas comme une menace pour ses intérêts. Ces derniers mois, tout le monde a pu constater, certains la mort dans l’âme, qu’il n’est pas menacé et qu’il est libre de ses mouvements ; et je pense qu’il en sera certainement ainsi à l’avenir, sauf un bouleversement de la situation, comme beaucoup le souhaitent. C’est dire donc que, pour l’instant, le président Issoufou est pour moi le plus grand gagnant des événements du 26 juillet ; même s’il est vrai que rien n’est définitivement acquis, ni pour lui ni pour d’autres, dans un pays comme le Niger.

L’Autre Républicain : La junte peine à convaincre les Nigériens en ce sens qu’elle a tendance à entretenir une sorte de “deux poids deux mesures” : criminaliser Bazoum et protéger Issoufou Mahamadou. Ce flou artistique ne risque-t-il pas de jouer un sale tour à la junte ?

A.T. Moussa Tchangari : A mon avis, il n’est pas très honnete de jouer les surpris en voyant la junte nigérienne, dirigée par le général Tiani, faire la politique de “deux poids, deux mesures” dans le traitement reservé à Bazoum et à Issoufou. C’est vrai que beaucoup de nos compatriotes ont soutenu le coup d’Etat du 26 juillet dans l’espoir qu’il mettrait fin au “système PNDS-Tarrayya” dont le président Issoufou est l’alpha et l’omega. Ils sont nombreux aujourd’hui à se rendre compte, la mort dans l’âme, qu’ils ont rêvé les yeux ouverts ; et certains sont furieux de constater que la junte a sa propre logique qui n’est pas difficile à saisir. La junte est consciente de la déception de certains de ses soutiens ; mais, l’essentiel a été fait au cours des premiers mois.

Aujourd’hui, elle s’installe progressivement, met en place, méthodiquement, tout ce qu’il lui faut pour se maintenir ; et les piliers du “système PNDS-Tarrayya” sont heureux de vivre une nouvelle saison, adossés à une junte légitimée par des manifestations populaires et soutenue par des nouveaux alliés internationaux. Elle va certainement gérer tout le monde suivant la logique du rapport de forces ; et ça, on le sait bien, les militaires savent très bien le faire. Le plus difficile sera pour eux de faire face aux divers groupes armés et gagner leur pari de les vaincre par la force des armes.

L’Autre Républicain : Malgré la propagande des juntes sahéliennes, le défi sécuritaire reste et demeure une réalité. A cela s’ajoute également le défi des libertés. Que faire face à une situation pareille ?

A.T. Moussa Tchangari : Eh oui, face à pareille situation, il n’y a pas beaucoup d’options, il faut se battre, résister; car, rien n’est définitivement perdu pour ceux qui rêvent encore de vivre dans un pays démocratique et en paix. Concernant le défi sécuritaire, bien sûr, il reste et demeure ; et je crains fort même qu’il devienne encore plus pressant.

L’Autre Républicain : Au Mali comme au Burkina, acteurs politiqus et citoyens activistes s’érigent en contre-pouvoir face à la dictature rampante au Sahel. Comment entrevoyez-vous un sursaut au Niger pour la préservation des acquis démocratiques ?

A.T. Moussa Tchangari :  Je dirais franchement que les choses se présentent très mal pour nous tous ; et je crains fort que nous soyons bien partis de revivre les pires moments dont nous sommes sortis difficilement. Les acteurs politiques et sociaux ont minimisé jusqu’ici le risque de voir s’instaurer un régime militaire sur lequel ils ne pourront avoir aucun contrôle ; car, ils croyaient beaucoup que la junte leur offrirait un cadre, le dialogue national annoncé, pour tracer le chemin vers le futur. On garde l’espoir qu’ils ne vont pas encore s’inventer autre chose pour regarder la junte mener la barque comme elle l’entend.  

L’Autre Républicain : Aujourd’hui, deux journalistes sont détenus. Le pire c’est que les organisations socioprofessionnelles sont complaisantes face à la remise en cause de la liberté d’expression, ce qui n’était pas le cas au temps de l’ANEPI sous votre direction avec feu Maman Abou comme président et vous-même Secrétaire général. Quel commentaire vous suscite cette situation ?

A.T. Moussa Tchangari : Le 3 mai dernier, je m’amusais à relire les rapports des organisations de défense des droits humains sur la situation en matière de liberté d’expression et de presse au Niger au lendemain du coup d’Etat militaire du 26 janvier 1996 ; et je suis tombé sur un rapport relatant les violences subies par les journalistes et les médias au cours de l’année 1998, soit un an avant l’assassinat du général Baré par des éléments de sa propre garde. Cette année 1998, nous étions nombreux, journalistes professionnels et collaborateurs des médias, à avoir été victimes de violences. Ce fut le cas de notre camarade Souley Adji, enlevé, battu et laissé pour mort ; ce fut le cas pour moi-même et feu Alhadji Oumarou Oubandawaki, enlevés en plein jour, battus et gardés pendant quelques jours par des éléments de la garde présidentielle et de la Police politique du régime. La même année, la Nouvelle Imprimerie du Niger de feu Maman Abou et la radio Anfani de feu Grema Boukar ont failli être détruites par des incendies criminelles ; mais, nous avons tenu bon, et nous n’avons pas plié face au régime de l’époque. Je rappelle ces faits juste pour dire que nous savons, nous autres, ce que signifie régime militaire. Nous avons donc de bonnes raisons de lui préférer une démocratie bancale.

Réalisée par Elh. M. Souleymane

L’Autre Républicain N°007 du jeudi 9 Mai 2024

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