La lecture des documents issus des assises nationales m’a imposé un exercice qui ne devrait pas incomber au citoyen observateur. Non pas parce que cet exercice serait superflu ou inutile au fond, mais parce que les documents des assises l’auraient deja pris en charge. Cet exercice se résume à une formulation simple de la problématique des assises : Pourquoi les assises ? A quoi doivent-elles repondre? Quelles sont les questions qui leur sont posées?
Les réponses à ces questions devraient permettre de régler la raison du coup d’État du 26 juillet 2023. Accessoirement peut-être, sera posée la question de l’efficacité des coups d’État. Et même se demander si le coup d’Etat constitue la seule reponse possible aux crises. Devrions-nous toujours considérer l’irruption de l’armée dans l’arène politique comme la solution ? Il est peut-être temps de commencer à regarder au-delà de la classe politique, tant les interruptions sont devenues chroniques et pour toutes raisons au Niger.
Nous ne devrions pas oublier que le coup d’Etat est érigé au rang de crime (imprescriptible ?) par la loi nigérienne.
En un mot comme en mille, les assises devraient répondre à 2 problématiques : connaître le mal qui a provoqué ce dernier coup d’Etat, et lui apporter un remède. C’est au Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) de dire le mal et sa proposition de solution. Les assises devront apprécier.
Or à quoi a-t-on assisté? A des « diagnostics » complaisants, des copier/coller des textes produits depuis la Conférence Nationale Souveraine aux dernières sorties populistes de vulgaires laboussanistes. Qui aurait lu un seul des diagnostics ou des préambules des travaux de ces assises sans avoir eu ce sentiment du déjà lu/vu que j’ai eu à la lecture de ces conclusions?
On eut l’impression que ce sont les acteurs des assises qui ont mis bas le régime PNDS et chercheraient à partir sur des nouvelles bases. Or, on s’en souvient, ce coup d’Etat avait surpris tout le monde et avait rencontré l’incrédulité générale à ses premières heures. Ses plus fervents défenseurs d’aujourd’hui l’avaient d’abord fermement condamné hier.
Donc c’est au CNSP de dire son diagnostic et de proposer des solutions que les assises devraient peaufiner avant d’organiser la consultation populaire indispensable (référendum).
Or à quoi avions-nous assisté? Les assises sont naïvement allées dans tous les sens, comme pour produire un programme éternel d’un gouvernement lui-même éternel.
En effet, il s’agit de trouver la solution au mal être censé avoir provoqué le coup d’Etat. Et c’est les militaires, en particulier le général Tiani et le CNSP, qui devraient montrer la voie de solution. D’ailleurs, ce supposé mal être devrait se trouver exprimé, ou dans la déclaration de prise de pouvoir par le CNSP, ou dans un TDR qui tracerait le cadre de travail, qui en fixerait les contours et les ambitions des assises. Car ce coup d’Etat a été provoqué sans aucun nuage significatif dans le ciel de la vie politique nigerienne. Mieux, le CNSP devrait donc, non seulement être précis et concis dans les termes de la mission, il se devait même de proposer des réponses aux maux qui ont motivé le coup d’Etat. Il avait certainement identifié les maux, lui qui avait senti la nécessité d’une action aussi grave, celle de renverser les institutions. Il doit aussi avoir une idée, ne serait-ce que vague, des solutions. Quand un problème est bien posé, il est plus facile à résoudre.
Poser les vraies questions pour de vraies solutions
Il se pourrait que c’est essentiellement nos accords militaires qui expliqueraient le coup d’Etat. Et ce, malgré le débat à l’Assemblée nationale. Si cest le cas, les députés, les Ministères, en particulier ceux de la Défense, de l’Intérieur, des Affaires étrangères, ou le président de la République lui-même répondront de leur « forfaiture » à la barre des assises. On se rappelle quand-même que ce coup d’Etat ne provient pas de l’armée mais de la Garde Présidentielle. Celle-ci n’est pas à son 1er coup. Soit dit en passant.
On sait aussi que l’armée avait un cadre, le Conseil National de Sécurité, pour faire des propositions, dénoncer ou améliorer les accords qu’elle a signés ou aidé à faire signer.
Il se pourrait aussi que ce soient nos accords miniers (malgré le nouveau code adopté par l’Assemblée nationale) qui ne seraient pas bons, qui seraient désavantageux pour le Niger. Là aussi, les Ministères et les acteurs sont là. Ils auraient pu enrichir le débat.
Il se pourrait que c’est notre système judiciaire qui ne marcherait pas, malgré la réforme mise en œuvre depuis 3-4 ans, malgré la révision du code pénal en cours (le 1er projet avait été déjà déposé avant le 26 juillet 2023 pour débat et adoption par l’Assemblée). Ou nos outils de lutte contre la corruption qui ne seraient pas adaptés ou efficaces. On se souvient que nos adversaires louaient les efforts du président Bazoum tandis que des militants du PNDS le lui reprochaient à mort.
Est-ce le système électoral qui serait en cause? L’élection présidentielle à 2 tours, ou le scrutin législatif de liste, proportionnel à 1 tour? Je n’ai pas entendu les gens de Tchandji dire que c’est eux qui ont gagné les élections. On aurait appelé la CENI à la barre afin de lui prouver que ses résultats étaient faux.
La CENI n’est pas responsable des modes des scrutins. Ces modes avaient été des choix retenus par d’autres assises qui avaient eu lieu en 2010, puis adoptés par référendum.
Seraient-ce l’organisation (l’agencement) constitutionnelle des pouvoirs et les différentes compétences de chacun des pouvoirs qui sont en cause? Le régime semi-présidentiel, la Haute Cour de Justice, le Conseil Supérieur de la Magistrature, la Cour constitutionnelle, le code électoral, la charte des partis politiques, les critères constitutionnels d’éligibilité, etc?
Je sais que ce n’est pas la situation de notre agriculture, de notre élevage, ni la situation de notre école qui ont provoqué le coup d’Etat. Encore moins la situation de notre système de santé… Est-ce notre système de passation des marchés publics ?
Nous savons que même ces concepts fourre-tout de souveraineté ou de refondation ont été pris en cours de route. On aurait beau attendre de voir le contenu concret que les auteurs y mettront, notre attente serait vaine.
Bref, le problème, le grief contre le régime renversé devrait être précisé et les solutions recherchées dans un débat avec les auteurs du coup. Propositions contre propositions, comme dirait Ladan Tchiana, qui est devenu aphone à l’instar des cadres du PNDS dont c’est la gestion qui est malmenée. Alors, les participants aux assises viendraient avec des propositions précises si nécessaires.
L’autre question est celle du devenir de ces propositions après la transition, sans oublier la question ultime : ces assises, les réformes proposées, la refondation nous préviendront-t-elles de coups d’Etat? Les coups d’État resteront-ils les voies de recours pour la correction des errements réels ou supposés de notre gouvernance? Quel sera le statut des solutions proposées par les transitions lorsqu’une nouvelle légitimité démocratique assure la gestion de l’Etat? On sait que même une Constitution, adoptée par référendum, est susceptible de révision conformément aux procédures édictées par elle, a fortiori les recommandations des assises aussi improvisées.
Alors, devrions-nous retenir (ultime confirmation) que les coups d’État ne sont que des fausses solutions aux problèmes des nations?
Ne serait-il pas encore temps d’ouvrir les yeux et faire confiance à la classe politique, à la société civile, aux mécanismes démocratiques pour trouver les solutions (certes toujours provisoires, toujours imparfaites) au dysfonctionnement de nos institutions, aux inévitables insuffisances de toute gouvernance ? Peu importerait le temps que cela prendrait puisque de toute évidence, les coups d’État ne sont pas des solutions. Ils sont à tout le moins, un éternel recommencement. N’y a-t-il pas lieu de réformer nos armées et de repenser la sécurité des institutions?
Oui, la question de l’interruption du processus démocratique, de l’instabilité des institutions par l’irruption de l’armée sur la scène politique pourrait ne pas être liée aux insuffisances de la gouvernance. Le phénomène peut être lié à l’armée elle-même. Car tout le monde conviendrait, exceptées certaines personnes égarées du PNDS, que ce coup d’Etat ne se justifierait pas par des fautes de gestion.
A éviter les vraies questions, on se donne de fausses réponses, de fausses solutions, ou même des vraies réponses à des questions non posées.
Si non que vient chercher la question des langues nationales dans le débat des assises? Ou même la farlefue proposition de dissoudre les partis politiques? Une transition de 5 ans renouvelables, pour quoi faire? Que vient faire tout ce blabla sur l’agriculture, l’industrialisation, l’exportation des matières premières, l’éducation, l’emploi, la souveraineté, etc? Que viennent faire tous ces dossiers d’enquête dont les institutions se sont occupées ou s’en occupent?
Le silence assourdissant des partis politiques
Il est clair que ces assises n’ont pas répondu aux vraies questions. Parce que d’une part, on ne leur a pas posé les vraies questions, d’autre part, parce que la qualité et la motivation des intervenants laisseraient à désirer. Qu’on ne s’etonne donc pas de voir que la classe politique a été exclue de ce débat qui se voulait inclusif. Pourtant, à l’heure actuelle au Niger, de toutes les organisations/associations nationales, les partis politiques sont de loin les plus représentatifs du peuple nigerien.
Du point de vue de la pratique politique, de l’expérience de gestion des affaires publiques, les partis sont de loin les plus qualifiés, ils sont ceux qui auraient des leçons, des expériences, des difficultés à partager. Les partis politiques connaissent mieux les cadres que quiconque.
D’ailleurs, à qui reviendrait la mise en œuvre des conclusions des assises? Naturellement à ces mêmes partis exlus du processus pour que se pavanent sans coup férir les Bana, Maikoul, le chef de canton de Djoundjou Hambali, tous ceux qui ont écumé les transitions passées, ou qui, en désespoir de cause voient dans le régime militaire la seule voie de salut personnel.
Devant cette foire aux farfelus et aux loosers, les partis politiques continuent de se taire. Bien entendu, le plus blâmable de tous les partis reste le PNDS. Par couardise, il n’a pas défendu son régime. Il se refuse de defendre son bilan. Pire, en voulant faire plaisir au CNSP et régler son compte à Bazoum, certains cadres du PNDS donnent les armes aux adversaires pour couler et Bazoum et ceux qu’ils veulent protéger. Pourtant ce parti est connu pour sa tradition de lutte, de débats organisés et disciplinés au sein des structures. Aujourdhui, quand on entend le PNDS, ce sont surtout des arrivistes des 2 camps qui s’etripent au grand bonheur de leurs adversaires communs : les laboussanistes.
La semaine passée seulement, certains responsables du PNDS ont demandé à un de leurs artistes, Dan Gazawa (loin d’être le meilleur artiste du reste) d’être leur porte-voix en disant haut ce qu’ils se disent tout bas. L’artiste a parlé juste et bien cependant.
Avant cet artiste, Seini Oumarou a aussi choisi de sortir de son silence pour se découvrir un talent de poète. Kassoum Moctar n’en finit pas avec son ambiguë danse du ventre.
Ne serait-il toujours pas temps de se résoudre à aider autrement Tiani à sortir de cette situation qui a fait mal et continuera de faire mal à notre pays et à son peuple? Ne serait-il pas encore temps de se rendre compte que ce pays, à l’allure où vont les choses, va droit à sa perte, non seulement sur le plan économique et du progrès social, mais aussi et surtout, sur le plan de la cohesion nationale et de la paix sociale?
Le citoyen Lamine