Pourquoi certains acteurs de la société civile qui ont participé aux assises nationales ont-ils recommandé la dissolution pure et simple des partis politiques? Cette proposition soulève des préoccupations légitimes quant à ses véritables motivations et ses conséquences sur l’avenir politique et démocratique du pays. En effet, derrière l’argumentaire de ceux qui militent pour une telle dissolution se cache un ensemble d’enjeux stratégiques qui mérite une analyse approfondie.
Il est indéniable qu’au Niger la scène politique est marquée par la présence d’un nombre restreint de partis véritablement d’envergure nationale sur près de 168 régulièrement enregistrés. Bien que certains partis puissent revendiquer une influence à l’échelle nationale, leur nombre est limité et leurs victoires électorales restent bien souvent soumises à des dynamiques locales. Ce phénomène de concentration du pouvoir dans des fiefs électoraux restreints suscite la frustration de ceux qui n’ont pas accès à ces zones de pouvoir. En effet, la situation actuelle montre que malgré leur apparente grandeur, ces partis peinent à s’imposer lors des élections. De nombreuses expériences passées ont montré que les partis, même les plus populaires, échouent dans leurs tentatives de conquérir la majorité absolue au premier tour.
Par ailleurs, au Niger, les partis politiques sont également perçus comme étant en grande partie responsables de la fragmentation de la scène politique, avec des divisions multiples et des alliances souvent opportunistes et contre nature, loin de favoriser une véritable cohésion nationale. Les critiques de ces partis soulignent qu’ils sont éloignés des préoccupations des citoyens et qu’ils agissent souvent dans une logique de maintien au pouvoir plutôt que dans une véritable démarche de service public.
Une autre critique récurrente faite aux partis politiques nigériens concerne les pratiques électorales douteuses. Il est bien connu que chaque parti possède un fief électoral, une zone géographique où il dispose d’une influence incontestée.
Certains, animés d’un sentiment de désillusion, considèrent les élections comme un exercice futile, où la volonté du peuple est contournée par des mécanismes d’influence et de fraude. Ainsi, certains acteurs de la société civile, frustrés par ce constat, estiment que la solution réside dans une suppression des partis politiques.
Derrière la proposition de dissolution des partis politiques se cache, selon certains observateurs, un agenda bien plus subtil. En effet, de nombreux acteurs qui ont participé aux assises nationales et qui prônent la suppression des partis sont en réalité des figures politiques issues de partis d’envergure locale. Leur objectif serait de profiter de la transition actuelle pour s’imposer comme acteurs incontournables du pouvoir, sans avoir à passer par le processus électoral classique.
Leurs ambitions ne se limitent pas à un simple réajustement de la gouvernance, mais s’inscrivent dans un projet de prise du pouvoir direct, en contournant les élections. En d’autres termes, ces acteurs cherchent à ce que le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) leur ouvre la voie à une prise de pouvoir sans passer par les urnes. Après les cinq années où même plus de transition qu’ils appellent « refondation », ces acteurs espèrent créer de nouveaux « partis-Etats ». Ces partis-états, sous un contrôle direct des autorités militaires, permettraient à ces acteurs de se maintenir au pouvoir à travers des scores électoraux massifs tels qu’on les voit dans les régimes autoritaires.
Cette dynamique soulève un enjeu fondamental : celui de la préservation de la démocratie. En effet, si la dissolution des partis politiques était mise en œuvre, le Niger risquerait de sombrer dans un autoritarisme déguisé, où la concentration du pouvoir entre les mains de quelques-uns rendrait toute opposition quasi impossible. La suppression des partis politiques ouvrirait la voie à une gouvernance sans contre-pouvoirs, ce qui constituerait un coup dur pour les aspirations démocratiques du peuple nigérien.
Les citoyens, qui aspirent à une paix durable et à un système démocratique transparent, doivent être conscients des dangers que représente cette proposition. Une telle démarche ne ferait qu’aggraver la situation, en consolidant des pratiques politiques opaques et peu représentatives des réalités sociales du pays.
Dans cette période de transition, les citoyens doivent demeurer vigilants face à cette tentative de manipulation politique. L’enjeu est de taille : il ne s’agit pas seulement de la question des partis politiques, mais de la préservation des principes démocratiques et de la liberté. Le général Tiani, à la tête du CNSP, devra faire preuve de discernement et ne pas céder aux sirènes des opportunistes. Le Niger, pour se construire un avenir radieux, stable et démocratique, doit impérativement éviter le piège de la concentration du pouvoir et de la suppression des partis politiques. L’avenir de la démocratie nigérienne en dépend.
Mahamadou Tahirou