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Niamey
17 mars, 2025
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              Point de vue :  Patries

Nous oublions trop souvent que nous sommes tous, sur cette terre, des étrangers. Nous arrivons en tant qu’immigrés clandestins, nous transitons en tant que migrants, nous vivons souvent en tant que réfugiés et nous repartons sans documents de voyage. Les frontières qui délimitent les pays, les nations ou les patries sont des constructions politiques validées par la coutume ou une réalité reconnue par le droit. Tout est précaire dans l’hypothèse de l’inévitable fragilité qui traverse toutes les institutions humaines. Pourtant, on s’obstine à rendre éternelle, immortelle, divine et donc capable d’exiger des sacrifices humains, une entité à la merci des contingences historiques.

Ce n’est pas un hasard si, à l’occasion de la fête commémorant la naissance de la nation, des défilés militaires sont souvent organisés pour rassurer les citoyens sur la protection contre les ennemis, intérieurs et surtout extérieurs à la patrie. D’autre part, le dictionnaire rappelle bien que … Le terme « patrie » dérive du latin pater « père » et désigne généralement la patrie, la terre des pères, c’est-à-dire le pays, le lieu et la communauté auxquels les individus se sentent affectivement attachés par l’origine, l’histoire, la culture et les souvenirs. Il s’agit d’une paternité exclusive où l’identité du citoyen est liée à celle de la patrie.

De ce terme découlent les autres que nous connaissons, patriote, patriotisme, combattant pour la patrie ou traître à la patrie. Bien sûr, le sens dépend du moment, des rapports de force, des conditionnements culturels, idéologiques ou religieux. Les organisateurs des guerres, c’est-à-dire les fabricants d’armes, de frontières et d’intérêts liés au capitalisme mondial en mutation, utilisent abondamment les accents identitaires et romantiques selon lesquels la patrie offre les meilleurs acheteurs. Dans certaines parties du monde, assembler des armes, des drapeaux et des milliers de morts est une seule et même chose. Les ennemis se trouveront en temps voulu.

Nous connaissons la curieuse tendance à gérer la politique par des alliances « sacrées ». Le marché comme divin, les guerres « saintes » et la patrie comme symbole vivant d’éternité. Mourir au travail ou après une longue et douloureuse maladie, d’un accident ou simplement de vieillesse, n’est pas la même chose que mourir sur le « champ d’honneur » de la patrie. Seule cette dernière mort sera digne d’être notée, rappelée ou commémorée. Mourir pour la justice et la vérité n’est pas comparable à mourir pour la patrie. Dans l’esprit commun, la divinité incarnée par la patrie exige du sang humain versé.

C’est ainsi que sont nées et se sont développées les conquêtes coloniales et la « mère patrie », à exporter partout où c’est nécessaire, au nom du peuple et au nom de Dieu. Dans le même esprit, des milliers et des millions de jeunes gens ont été envoyés à la boucherie, armés pour défendre, protéger ou étendre les frontières de la patrie. Les grands décident des guerres, ils réussissent à convaincre les gens du peuple, et ce sont les pauvres qui en subissent les conséquences. Déifier ce qui est par nature une construction humaine, c’est exhumer un terme parfois passé de mode et pourtant toujours d’actualité. Il s’agit de l’idolâtrie.

Le culte rendu à des objets ou à des images auxquels on attribue des caractéristiques et des pouvoirs divins… c’est ce que rappelle la définition classique du terme. L’argent, le pouvoir, la violence rédemptrice, la guerre « sainte », et en général tout ce qui devient le dieu auquel on sacrifie, peuvent être définis comme de l’idolâtrie. Comme toutes les idoles, ces réalités ne voient pas, ne parlent pas et n’écoutent pas. Elles ne font que dévorer ou consommer ceux qui deviennent leurs sujets. Elles n’ont pas de cœur mais seulement des intérêts et contribuent à maintenir le système de domination en bonne santé.

Redonner de la relativité aux concepts rendus absolus. Désacraliser tout ce qui est fabriqué par l’homme et mettre au centre de tout la fragilité et le caractère sacré de la vie. C’est pourquoi nous en sommes ni créateurs ni propriétaires, mais seulement d’humbles témoins.

  Mauro Armanino, Niamey, mars 2025

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