Il y a bien des façons de qualifier notre époque et de lui donner le nom qu’elle mérite. Parmi les titres possibles qui la résument, la représentent et l’illustrent, celui d’« ère du mépris » semble suffisamment éloquent et approprié. Le mépris, c’est condamner quelqu’un comme indigne d’estime, le dédaigner, l’avilir, le dévaloriser. Tous les camps de détention, les prisons, les lieux de travail particuliers et les rapports de classe sont traversés par cette altération humaine unique qu’est le mépris.
Le mépris de tout ce qui est fragile et vulnérable, sans défense comme un nouveau-né ou un enfant à naître, accompagne notre époque. Un monde fondé sur la puissance de la quantité d’armes, de l’argent, du prestige et du pouvoir ne peut que mépriser ceux qui n’appartiennent pas à l’infime minorité qui a le plein droit de décider de la vie et de la mort de la plupart. Les premiers méprisés sont les pauvres et les misérables qu’il faut éliminer, expulser parce qu’ils sont inconvenants dans les cités des oligarques riches et opulents.
Mépris pour ceux qui ne se résignent pas à disparaître comme du lest inutile que l’on jette quand c’est nécessaire au système. Ceux qui n’entrent pas dans les schémas et les formes prédéterminés sont indignes d’estime parce qu’ils sont aussi dangereux qu’un mot dans la main d’un poète ou qu’un rêve caché d’un amant. Les personnes déplacées, les demandeurs d’asile, les migrants et les réfugiés sont des catégories marginales et frontalières. Des gens sans vergogne qui osent penser et risquer leur vie pour un destin écrit dans la poussière. Des gens complètement à côté de la plaque.
Le mépris de la vérité, de la beauté et de tout ce qui est gratuit parce que ce sont des choses sans prix. A dévaloriser parce qu’elles ne peuvent être traduites en marchandises et donc être échangées. Le mépris des citoyens par ceux qui ont le devoir et le pouvoir de décider de leur sort a pris, ces dernières années, des proportions sans précédent. Il n’y a plus que des sujets, des esclaves, des serfs, des prisonniers et des exilés de tout ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue. Les écoles des élites enseignent le mépris des petits.
Le mépris de la politique et de la démocratie en est la condition essentielle. Après avoir profité de l’une et de l’autre pour s’enrichir et accéder au pouvoir, elles sont toutes deux envoyées à la casse. Avec eux, ce sont les droits fondamentaux de la personne humaine, gagnés dans les larmes et le sang, qui sont mis au rebut. Il suffit de voir comment les droits des travailleurs ont été érodés en ces années où l’exploitation et les morts au travail sont la guerre dont plus personne ne parle. Morts blanches par mépris.
L’ère du mépris de la vie fabrique, commercialise, diffuse des armes et des guerres comme les diamants et les terres rares à cultiver avec des mercenaires et des groupes armés. La paix est méprisée parce que la terreur règne en maître, immobilisant tout et créant des souffrances dont aucun des puissants ne se soucie. Le mépris de la douleur est donc la trahison suprême de ce qui constitue l’humain qui devrait nous unir. Le mépris du temps trahit le jour, les heures de la nuit et tout se transforme en un cirque perpétuel.
Il est difficile de spéculer sur ce qui suivra l’ère actuelle du mépris. L’important est donc de semer, à mains nues et avec une patiente folie, l’utopie hérétique des nouveaux mots jetés au vent.
Mauro Armanino, Niamey, mars 2025