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27 février, 2025
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Traitement des dossiers des crimes économiques au Niger : Une posture démagogique du ministre de la Justice

La circulaire adressée par le ministre de la Justice et des droits de l’Homme, garde des Sceaux, aux présidents des cours d’appel de Niamey, Zinder et Tahoua et aux Procureurs généraux près lesdites Cours, aux présidents des Tribunaux de Grande instance et Procureurs de la République, le 20 février dernier, a suscité une vive réaction au sein de l’opinion. Dans cette circulaire, le ministre Alio Daouda, appelle à une révision de la gestion des dossiers économiques, soulignant les dysfonctionnements et l’insuffisance de résultats dans la répression des crimes économiques. Pourtant, malgré la rhétorique ambitieuse de la lettre, une analyse plus fine révèle que le gouvernement n’a pas réellement mis en place les mécanismes nécessaires à une lutte efficace contre la délinquance financière. Bien au contraire. La réalité semble trahir les intentions affichées dans le texte, d’autant plus que de sources proches de la justice soulignent un manque de soutien politique et financier véritable pour mener à bien cette mission.

Le ministre de la Justice se fait ainsi l’avocat d’une répression plus rigoureuse, pointant la mauvaise gestion des dossiers économiques et l’incapacité des juges à prendre des mesures à la hauteur des enjeux. Cependant, une source proche de la justice révèle que, contrairement aux apparences, il n’existe aucune volonté politique clairement affichée pour réprimer les crimes économiques. En effet, le Pôle économique et financier manque des ressources humaines et budgétaires avec un budget n’excédant pas trois millions FCFA de crédits par trimestre pour son fonctionnement. Ce qui est loin de garantir une lutte efficace contre les détournements de deniers et biens publics, ce qui compromet sérieusement l’objectif affiché de restaurer la gouvernance économique, malgré les dispositions pertinentes de la loi 2015-02 du 13 janvier 2015 portant création, composition, organisation et compétence d’un pôle judiciaire et des chambres spécialisées en matière économique et financière.

Les crimes économiques les plus graves sont en réalité pris en charge par la Commission de Lutte contre les Délinquance Économique, Financière et Fiscale (CoLDEFF), une institution qui échappe totalement au contrôle direct de la justice. En ce sens, le ministre semble faire fausse route en reprochant aux juges de ne pas réagir face à des affaires de grande ampleur. En réalité, la justice est écartée de la lutte contre la délinquance financière, une situation qui reflète un choix politique délibéré du gouvernement.

La circulaire du ministre, en dépit de ses préoccupations légitimes, s’attaque donc à des symptômes plutôt qu’aux causes profondes du problème. La mise en lumière des faiblesses des juges et de leurs pratiques insuffisantes semble occulter un autre élément majeur : la structure même du système judiciaire et son financement. Les juges, pris entre des pressions extérieures et des ressources limitées, ne disposent pas des moyens nécessaires pour mener à bien leur mission. La question de l’impunité des responsables publics impliqués dans des détournements massifs de fonds reste donc en suspens, et l’on peut se demander si le ministre est réellement disposé à remettre en question les mécanismes politiques qui protègent ces individus ?

Il est également important de souligner que les magistrats, malgré leurs faiblesses, ne peuvent pas être les seuls à porter la responsabilité de l’inefficacité de la lutte contre les crimes économiques. L’argument avancé dans la circulaire concernant la « méconnaissance » ou l’« ignorance » des procédures juridiques semble un peu trop simpliste. Si des erreurs peuvent être attribuées à certains juges, il convient de rappeler que les manques de formation ou d’expertise, en particulier dans les affaires complexes de détournements de fonds publics, sont largement dus à une absence de préparation spécifique pour traiter de telles affaires. De plus, la lettre du ministre oublie de mentionner que des mesures de saisie, de séquestre des biens ou de mise sous séquestre des comptes bancaires des mis en cause sont rarement appliquées, malgré les prévisions légales.

Il apparaît que l’appel du ministre à une justice plus rigoureuse dans le traitement des dossiers économiques est contradictoire avec la réalité du système judiciaire nigérien. L’absence de moyens financiers, le manque de soutien politique et l’externalisation de la lutte contre la délinquance financière à d’autres institutions rendent la tâche de la justice quasiment impossible. Il semble donc que le ministre de la Justice se trouve pris dans une posture d’affichage, cherchant à désigner des boucs émissaires au lieu de remettre en question les véritables dysfonctionnements structurels qui entravent la lutte contre les crimes économiques.

Mahamadou Tahirou

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