L’association Alternative Espace Citoyen a organisé, le vendredi 14 février dernier, une table ronde sur le thème de la corruption dans l’administration publique nigérienne. L’événement a réuni un public varié, composé d’acteurs de la société civile, de professionnels du droit, d’étudiants et de citoyens engagés, tous venus participer à une réflexion profonde sur ce fléau qui gangrène les institutions publiques du pays.
Deux panélistes de renom ont été invités à partager leur expertise : Monsieur Boubacar Hassan Amadou, juriste constitutionaliste, et Monsieur Maman Wada, président de l’Association Nigérienne de Lutte contre la Corruption (ANLC), section Transparency International Niger. Le débat était modéré par Monsieur Kaka Touda, membre de l’association Alternative Espace Citoyen. Mais avant de se lancer dans les débats, l’événement a débuté sur une note culturelle, avec une prestation théâtrale percutante réalisée par une troupe culturelle associée à l’organisation. À travers des scénarios vivants, la troupe a exposé les diverses formes de pratiques corruptives dans l’attribution des marchés publics et l’organisation des concours et examens, suscitant un vif enthousiasme du public.
A la fin de cette prestation, le modérateur a introduit le thème de la table ronde, en rappelant les enjeux de la corruption dans l’administration publique et en interrogeant les panélistes sur leurs perceptions de ce phénomène ainsi que sur les solutions possibles pour y faire face. Et de poser ces questions : Peut-on véritablement éradiquer la corruption ? Quelles sont les perspectives pour une lutte efficace contre ce fléau ?
Le premier panéliste, Monsieur Boubacar Hassan Amadou, a posé les bases de la discussion en citant l’historien nigérien Pr Djibo Hamani, qui soutient que « le phénomène de la corruption est lié à la nature de l’Homme ». Il a ensuite axé son intervention sur l’aspect pénal de la corruption, la qualifiant d’infraction grave, passible de sanctions selon l’article 130 du code pénal nigérien. Selon lui, la corruption se divise en deux formes principales : la corruption active et la corruption passive, toutes deux liées à l’abus de la fonction publique pour obtenir des avantages financiers en échange d’un service ou d’une décision administrative.
Dans un second temps, le panéliste a abordé les instruments juridiques nationaux et internationaux qui soutiennent la lutte contre la corruption. À l’échelle internationale, il a mentionné la Convention des Nations-unies contre la corruption et la Convention des Nations-unies contre les crimes organisés, tout en soulignant les efforts de l’Union africaine à travers le mécanisme d’évaluation par les pairs (MAEP) et les directives de l’UEMOA sur les marchés publics. Sur le plan national, plusieurs dispositifs existent, comme le code de procédure pénale, la loi sur la déclaration de biens des hauts fonctionnaires, le décret sur la Haute Autorité de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HALCIA) bien que dissoute, la loi de 2016 concernant l’attribution des marchés publics, le décret sur la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF) et récemment la Commission de Lutte contre la Délinquance Economique, Financière et Fiscale (Coldeff). Toutefois, malgré la richesse de ces textes, leur mise en œuvre reste insufflante et souvent inégale, comme l’ont souligné les intervenants.
Le second panéliste, Monsieur Maman Wada, a abordé la discussion en offrant une analyse détaillée des formes de corruption dans l’administration publique. Il a distingué trois types de corruption : la petite, la moyenne et la grande corruptions. La petite corruption, selon lui, est celle de « survie », où des fonctionnaires acceptent des petits pots-de-vin pour accélérer des dossiers. La corruption de moyenne envergure se situe autour des concours, des examens ou des promotions administratives, impliquant des sommes allant de 200 000 à un million de francs. Enfin, la grande corruption, qui touche les plus hauts niveaux de l’État, se manifeste notamment dans l’attribution de marchés publics de gré à gré qui mobilisent des milliards de francs favorisant ainsi l’enrichissement illicite à grande échelle des responsables gouvernementaux.
Maman Wada a également soulevé un aspect souvent négligé de la corruption : la corruption « sexuelle », où des individus, souvent des femmes, se livrent à des pratiques corruptives pour accéder à des marchés publics ou à des promotions. Cette forme de corruption met en lumière les rapports de pouvoir qui influencent l’accès aux ressources publiques.
Les deux panélistes se sont appesantis sur le manque de volonté politique manifeste dans la lutte contre la corruption au Niger. Malgré l’existence de textes juridiques et de mécanismes de surveillance, la corruption continue de prospérer, alimentée par un système politique et administratif souvent défaillant. Ils ont exprimé leur préoccupation face à l’ordonnance 2024-05 du 23 février 2024, qu’ils considèrent comme un véritable « boulevard au détournement de l’argent public », permettant à certains responsables de détourner des fonds en toute impunité. Cette ordonnance, selon eux, va à l’encontre des objectifs de transparence et de bonne gouvernance.
Les panélistes ont appelé à l’abrogation de cette ordonnance et à la révision des textes législatifs pour intégrer une approche plus préventive, plutôt que de se limiter à une répression qui semble inefficace. Pour eux, la lutte contre la corruption doit être un combat global, qui inclut des mesures de prévention, de sensibilisation et de responsabilisation des citoyens. Ils ont également mis en évidence que la dissolution de la HALCIA est un recul, une régression dans la corruption.
La table ronde s’est conclue par une session de questions-réponses, où le public a eu l’occasion d’apporter des contributions et de poser des questions aux panélistes. Les échanges ont été riches et constructifs, permettant de mieux comprendre les défis liés à la lutte contre la corruption et les perspectives d’amélioration. Au terme de cet après-midi, l’ensemble des participants s’est montré satisfait de l’initiative, espérant que ce genre de débats puisse ouvrir la voie à une véritable révolution dans la gouvernance publique au Niger.
Ainsi, bien que des efforts aient été déployés pour lutter contre la corruption, le chemin reste semé d’embûches. La prise de conscience collective et l’engagement politique véritable seront les clés pour que le Niger puisse envisager un avenir exempt de ce fléau.
Mahamadou Tahirou
L’Autre Républicain du jeudi 20 Février 2025