Clap de fin ce jeudi 20 février pour les assises nationales convoquées par le général Tiani. Cinq jours ont suffi aux 716 délégués coptés ou désignés par des corporations pour « refonder » le Niger. Au moment où nous mettons sous presse, la tendance est à l’octroi d’un bail de 5 ans au général Tiani et à ses compagnons du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) afin de disposer du temps pour refonder le pays. Rien de surprenant parce qu’il s’agit aussi d’harmoniser la durée de la transition avec la pratique au sein de l’Alliance des Etats du Sahel (AES). Les cinq sous-commissions qui ont été mises en place ont fait des recommandations et proposer un projet de charte de la transition ; certains l’appellent charte de la refondation pour se conformer à l’intitulé de celle du Mali dont elle s’est inspirée.
Cinq sous-commissions thématiques ont été mises en place : paix, sécurité, réconciliation nationale et cohésion sociale ; refondation politique et institutionnelle ; économie et développement durable ; géopolitique et environnement international ; justice et droits humains. Elles ont pour mandat de faire des recommandations au CNSP et de proposer un projet de charte de la transition. On aura compris que la principale préoccupation tourne autour de la durée de la transition et de la proposition de la charte même si l’on apprend que visiblement c’est la charte du Mali qui a servi de support pour formuler celle du Niger. On ne réinvente pas la roue, dit-on.
Sur la durée de la transition, au niveau des assises régionales et de celles de la diaspora, la durée proposée va de 3 à 10 ans. Mais la moyenne qui semblait faire concession est celle de 5 ans, ce qui est cohérent avec ce qui a été décidé dans les deux autres pays sahéliens de l’AES. En faisant le copier-coller du modèle burkinabé, le président du CNSP doit devenir président de la République, avec un quinquennat à la clé, apprend-on.
Or l’engagement du général Tiani face au peuple est de conduire une transition qui ne doit pas excéder trois ans. Dans son message à la Nation du 19 août 2023, il l’a dit sans ambages après avoir annoncé la tenue d’un forum national inclusif des forces vives. Selon le général Tiani, ce forum doit faire des propositions pour « définir les principes fondamentaux devant régir notre transition, définir la période de transition dont la durée ne saurait aller au-delà de trois ans… ». C’est dire que toute autre recommandation de la durée de la transition qui excède trois ans est mal venue parce qu’en porte à faux avec l’engagement solennel du général. Son serment fait dans le même message à la Nation était de réaffirmer l’adhésion pleine du CNSP « au principe du libre choix des gouvernants par le peuple ». Car, selon lui, leur ambition n’est pas de confisquer le pouvoir. Ce sont des propos qui relèvent de la parole d’honneur d’un officier général, de surcroit chef d’Etat.
Ces participants aux assises nationales vont invoquer la volonté du peuple. De quel mandat disposent-ils pour engager le peuple ? Le meilleur moyen n’est-il pas de consulter le peuple à travers un référendum dans des conditions de transparence optimales ? Du reste, ces assises n’ont pas été inclusives. Elles sont loin de l’être ((lire l’article sur les ratés des assises nationales) avec des partis politiques laissés sur le bord de la route et des acteurs politiques majeurs détenus depuis un an et demi, en commençant par le président Mohamed Bazoum, ses anciens ministres et collaborateurs.
Il était clairement apparu que les partis politiques étaient les mal-aimés de cette grande messe. C’est pourquoi, sans sourciller, il est demandé leur dissolution. C’est dans cet esprit qu’il faut inscrire le réquisitoire du gouverneur de la région de Niamey contre les acteurs et militants de la démocratie qui ont eu le tort de mettre fin à leur régime du Conseil Militaire Suprême (CMS), en 1990-1991. Dans la même logique, il aurait été pertinent de demander la dissolution de toutes ces associations dites de la société civile mais qui sont en vérité de véritables officines de pratiques non orthodoxes totalement en déphasage avec la défense de l’intérêt général. En atteste la création à la pelle d’associations diverses depuis les événements du 26 juillet 2023.
Des recommandations en vrac
En plénière, on a pu entendre des recommandations comme l’amnistie aux auteurs du coup d’Etat du 26 juillet. Pourquoi une amnistie alors que les acteurs de ce coup d’Etat prétendent qu’il s’agit d’une œuvre patriotique ? Une telle œuvre pourrait-elle faire l’objet d’une poursuite judiciaire ? Non, en principe parce qu’elle salvatrice. Ceux qui ont fait cette proposition ont sans doute conscience qu’un coup d’Etat ne saurait trouver de justification. C’est pourquoi, ceux qui, par le passé, avaient tenté et échoué se sont retrouvés derrière les barreaux. On apprend que des participants ont demandé leur libération. Pourtant, ils sont restés motus et bouche cousue sur le cas des anciens ministres, président d’institution, député, ambassadeur, officiers et soldats qui ont travaillé avec le président Mohamed Bazoum. Le cas de ce dernier et de son épouse privés de liberté depuis un an et demi n’a également suscité aucune réaction de leur part. Or, ces participants sont venus consacrer la réconciliation nationale. Mais il s’agit d’une réconciliation à géométrie variable.
Des participants sont revenus sur les drames de Chinagodar, Inatès, les affaires MDN Gate, Uranium Gate, affaires des avions présidentiels Mont Greboun et Mont Bagzan, affaire 9 février 1990, l’assassinat du président Baré, etc. D’autres affaires n’ont pas été citées. Sans doute volontairement. Pour l’essentiel, on aura compris qu’en demandant de faire la lumière sur ces dossiers, c’est la gestion du président Issoufou Mahamadou qui était indexée comme si avant lui, rien de répréhensible ne s’était passé au Niger.
Le populisme a parasité les travaux. C’est ce qui explique certaines recommandations corporatistes ou qui ne tiennent pas compte de l’existant. C’est le cas de l’harmonisation de la grille salariale, le changement de l’appellation du nigérien en nigérois, la création d’une nouvelle monnaie, la création d’une Cour de répression des crimes économiques, l’interdiction faite aux fonctionnaires d’adhérer aux partis politiques comme s’ils ont perdu leur statut de citoyens, le recrutement des contractuels de l’éducation et de la santé alors que le gouvernement a dit ne pas pouvoir le faire, la suppression des privilèges de juridiction, l’égalité de chance dans l’accès aux marchés publics dans un contexte où le CNSP a pris une ordonnance qui empêche l’orthodoxie, la mise en place d’un organe de suivi des recommandations des assises comme c’est le cas au Mali.
Les participants passent sous silence la gestion actuelle du CNSP. Dans tous les cas, le général Tiani est face à ses responsabilités et à ses engagements. Ce que les Nigériens attendent de lui, c’est qu’il créé les conditions les meilleures pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel et l’amorce d’une vraie réconciliation, pas celle voulue aux assises.
Ces 18 derniers mois, le Niger a été réellement éprouvé tant sur le plan sécuritaire qu’économique, social et dans le vivre-ensemble avec une vision manichéenne du statut de citoyen : les bons qui soutiennent le CNSP et les mauvais, ceux qui n’ont pas approuvé la remise en cause de l’ordre démocratique.
A l’ouverture des assisses, le général Tiani a pourtant prévenu les participants en ces termes : « les présentes assises ne peuvent pas se réduire à une tribune de promotion personnelle, de positionnement politique, de règlement de comptes, de critiques acerbes injustifiées ou de tremplin pour une conquête du pouvoir à venir. Elles doivent plutôt être un moment d’échanges constructifs visant à fédérer tous les Nigériens pour l’atteinte des objectifs communs d’unité nationale, de cohésion nationale, de justice, de paix, de sécurité et de progrès socio-économique ».
Ces recommandations ne sont pas des paroles saintes. Le dernier mot appartient au général Tiani.
La rédaction
L’Autre Républicain du jeudi 20 Février 2025