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Niamey
9 janvier, 2025
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Point de vue :  Migrants et migration au Sahel

Il dit qu’il voulait aller prier en Israël. Né dans la minuscule Guinée-Bissau, Pascal avait déjà beaucoup voyagé en Afrique côtière. Peintre de profession, il avait travaillé en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Togo et au Bénin. De retour au pays, il s’est rendu en Gambie et enfin au Sénégal. Après avoir économisé une somme de francs locaux, il s’est aventuré au Mali et, via la ville de Gao, a rejoint l’Algérie. À Tamanrasset, son voyage vers Israël s’est terminé par son arrestation, la confiscation de son téléphone portable, de l’argent qu’il lui restait et de son carnet de voyage mental. Grâce à l’aide de voyageurs compatissants, il est arrivé hier à Niamey avec la compagnie de bus Sonitrav. Par solidarité, un Sénégalais lui offre un abri précaire sous la véranda de sa maison et Pascal ne souhaite plus que retourner dans son pays d’origine.

Ils sont une vingtaine. Parmi eux, des enfants, des mères et des jeunes gens dupés par un marchand de rêves. À Monrovia, la capitale du Liberia, le vendeur en question leur avait promis de les emmener rien de moins qu’en Europe pour la modique somme de quelques centaines de dollars américains. Arrivés au Mali, après avoir traversé la Guinée, les migrants ont été abandonnés par le « guide » à leur sort. Arrivés à Gao, hébergés quelques jours dans la « Maison des migrants », ils ont été conduits à Niamey et finalement accueillis par les Libériens installés depuis longtemps dans un quartier périphérique de la capitale. Neuf d’entre eux étaient des enfants et cinq des mères, tandis qu’il n’y a aucune trace des pères. Campés dans quelques chambres louées pour l’occasion, les plus jeunes ont demandé où se trouvait l’Europe et, en regardant autour d’eux, ils ont compris, tardivement, qu’ils avaient été trompés.

Les autres sont des migrants forcés. Juste avant la fin de l’année et juste après, des groupes armés leur ont ordonné de quitter leurs villages. Nous sommes à une centaine de kilomètres de la capitale du Niger, à la frontière avec le Burkina Faso, dans la redoutable zone des « trois frontières ». Le Mali, le Burkina et le Niger se sont regroupés au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), où ils continuent de subir les attaques de groupes « djihadistes » que les paysans s’obstinent à appeler « bandits ». Des centaines d’entre eux ont dû abandonner leurs maisons, leurs champs et leurs futurs en quelques heures après avoir été menacés de représailles. De nombreux villages autour de Kankani et Makalondi se sont vidés de leurs habitants. Ceux-ci n’ont emporté que quelques sacs de mil en guise de provisions pour l’exode vers le centre « protégé » de Makalondi. Des migrations forcées qui durent depuis des mois dans un silence assourdissant.

L’autre migration « forcée » est précisément celle de la politique comprise comme une participation libre et consciente à la construction d’une « maison commune » où habiter. Toute activité politique des partis et autres associations de la société civile a été suspendue par décret depuis le coup d’État de fin juillet 2023. Depuis, on navigue à vue entre décrets, décisions irréversibles comme l’abandon de la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest, la CEDEAO, par l’AES précitée, et une quête perpétuelle d’ennemis intérieurs ou extérieurs. Une migration, celle de la politique, qui risque de ressembler aux migrations mentionnées ci-dessus. Comme nous l’avons vu, le long voyage se termine par le désir de retourner dans le pays qu’ils ont laissé derrière eux. L’objectif d’une politique qui mérite ce titre sera de revenir et placer l’écoute du cri des pauvres comme programme. C’est pour cela qu’elle a été inventée.

Mauro Armanino, janvier 2025

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