23.2 C
Niamey
3 janvier, 2025
spot_img

Gestion pétrolière au Niger : Entre accusations croisées et suspicion de manipulations

La pénurie de carburant qui a frappé plusieurs localités dont Niamey, la semaine dernière, a provoqué une crise de mobilité sans précédent dans les centres urbains impactés. Un paradoxe saisissant se dégage de cette situation : comment un pays producteur de pétrole se retrouve-t-il en rupture de carburant ? Pour comprendre cette crise, deux géants du secteur pétrolier nigérien, la Société de Raffinage de Zinder (SORAZ) et la Société Nigérienne de Pétrole (SONIDEP), se rejettent la responsabilité, alimentant ainsi des soupçons sur les véritables causes de cette pénurie.

Les deux entreprises ont publié des communiqués dans lesquels elles cherchent à se disculper. La SORAZ, en charge du raffinage, affirme que la crise n’est en aucun cas liée à une défaillance de ses activités. Selon la société, elle continue de produire et de fournir des produits pétroliers à la SONIDEP, dans les limites de ses capacités de production. La raffinerie, qui fonctionne à 16 500 barils par jour, ne peut théoriquement fournir que 23 camions citernes de 50 000 litres d’essence par jour, bien en deçà des 36 camions demandés par la SONIDEP. De ce fait, la SORAZ insiste sur le fait que ses opérations ne sont pas en cause et que la pénurie doit être expliquée par d’autres facteurs.

De son côté, la SONIDEP réagit vivement à cette défense de la SORAZ. Elle rappelle que la SORAZ est tenue par contrat de fournir en priorité les besoins domestiques. Selon la SONIDEP, la production de la raffinerie aurait diminué de manière significative, passant de 38 camions citernes par jour à seulement 22-25, tandis que les besoins du pays s’élèvent à 45 camions par jour. Pire encore, la SONIDEP accuse la SORAZ d’avoir orienté une partie de la production vers l’exportation, au détriment de l’approvisionnement national, et d’avoir agi de manière « non amicale » face aux avertissements de la SONIDEP depuis plusieurs mois.

Au-delà des échanges d’accusations, la crise semble en réalité être nourrie par des enjeux bien plus complexes. D’un côté, la SORAZ se trouve confrontée à un redressement fiscal de plusieurs milliards de francs CFA, ce qui pourrait influencer ses priorités commerciales et ses décisions stratégiques. Le redressement fiscal est un enjeu majeur, et il n’est pas exclu que la SORAZ, en difficulté face à l’administration fiscale nigérienne, ait décidé de limiter sa production pour éviter des pertes financières ou simplement pour « peser » dans les négociations avec l’État.

De l’autre côté, la SONIDEP doit également faire face à une dette importante envers la SORAZ. Cette ardoise, qui se chiffre en milliards, pourrait expliquer en partie l’attitude de la SORAZ, qui, selon certains observateurs, pourrait limiter les livraisons à la SONIDEP pour forcer le règlement de cette dette. Ce bras de fer financier entre les deux entités pourrait être au cœur de cette crise, envenimant la situation et impactant la pénurie de carburant.

Un autre facteur à prendre en compte est le rôle de la Chine, actionnaire majoritaire de la SORAZ à hauteur de 60%. Les relations entre la Chine et le Niger sont stratégiques, et il est possible que des choix de gestion de la production, orientée en partie vers l’exportation, aient été influencés par des impératifs géopolitiques et économiques. La SORAZ, en tant que société semi-étatique, pourrait être soumise à des pressions internationales, notamment celles de ses actionnaires chinois, qui ont des objectifs différents de ceux du gouvernement nigérien en matière de gestion des ressources pétrolières. Ce dilemme entre les priorités nationales et les intérêts étrangers pourrait expliquer l’exportation de la meilleure qualité de pétrole brut, comme l’a signalé la SONIDEP, au détriment du marché national.

Cette crise met également en lumière une gestion défaillante du secteur pétrolier nigérien. La SORAZ, bien que responsable du raffinage, semble ne pas avoir anticipé l’augmentation de la demande en essence, une situation pourtant prévisible. Si le pays est confronté à une croissance continue de la consommation domestique d’essence, la SORAZ aurait dû ajuster ses capacités de production et ses priorités en conséquence. Pourtant, malgré les alertes et les avertissements, la situation a empiré.

De son côté, la SONIDEP, bien que responsable de la distribution, semble avoir agi avec une certaine improvisation en se tournant vers des importations massives pour combler le déficit, ce qui a engendré des coûts supplémentaires. Une gestion plus efficace et une meilleure planification auraient permis d’éviter cette crise, d’autant que les deux entreprises, la SORAZ et la SONIDEP, sont censées travailler main dans la main pour garantir l’approvisionnement du pays.

La pénurie de carburant au Niger ne résulte pas simplement d’un déséquilibre entre production et consommation, mais d’un enchevêtrement de facteurs économiques, fiscaux et géopolitiques. Si les deux sociétés se rejettent la responsabilité, il est clair que d’autres enjeux, notamment financiers, jouent un rôle majeur dans cette crise. Le redressement fiscal, la dette entre la SONIDEP et la SORAZ, et les choix stratégiques liés aux exportations pourraient bien être au cœur de cette situation.

Il est grand temps que l’État nigérien intervienne fermement pour clarifier cette situation et imposer une gestion plus transparente et plus responsable de ses ressources pétrolières. Le pays mérite une gestion plus efficace de ses richesses naturelles, au service des citoyens et non des intérêts privés ou étrangers. Si la crise actuelle n’est pas résolue rapidement, elle pourrait avoir des conséquences graves pour l’économie du pays et la stabilité sociale.

Mahamadou Tahirou

L’Autre Républicain du jeudi 2 janvier 2025

Related Articles

Stay Connected

0FansJ'aime
3,912SuiveursSuivre
0AbonnésS'abonner
- Advertisement -spot_img

Derniers Articles