Par Dr Haboubacar Maman Manzo, Enseignant-chercheur à l’université Boubacar Bâ de Tillabéri
Riyadh, en Arabie Saoudite, a accueilli, en décembre dernier, la 16è Conférence des Nations-Unies sur la lutte contre la désertification et les sècheresses. C’était un moment de grandes discussions sur les meilleurs moyens de protéger les terres, lutter contre les sécheresses, les conséquences du changement climatique, autant de facteurs qui accentuent la pauvreté, les inégalités et l’insécurité dans le monde. Dr Haboubacar Maman Manzo, agronome, Enseignant-chercheur à l’université Boubacar Bâ de Tillabéri, SCL NRAMP – USAID Niger, qui a été invité à cette Conférence de haut niveau partage avec nos lecteurs les principaux enseignements qu’il a tirés.
L’Autre Républicain : Vous aviez pris part activement aux travaux de la Conférence des Nations-Unies sur la lutte contre la désertification et les sècheresses tenue récemment en Arabie Saoudite. En marge des travaux, s’est tenue une journée scientifique sur fond de dialogue interactif pour réinventer des solutions durables de lutte contre la dégradation des terres. Que peut-on en retenir ?
Dr Haboubacar Maman Manzo : La COP16 qui s’est tenue du 02 au 13 décembre 2024 à Riyadh, au Royaume d’Arabie Saoudite, a été une plateforme qui a bâti un nouveau régime mondial de lutte contre la sécheresse avec la mise en place du Partenariat Mondial de Riyadh pour la Résilience à la Sécheresse.
Il faut le rappeler, depuis son ouverture le 02 décembre, la 16è conférence des parties de CNULCD a pris des engagements politiques et financiers majeurs pour renforcer la résilience à la sécheresse dans le monde.
Sachant que la sécheresse, accentuée par le changement climatique et les pratiques agricoles non durables, a augmenté de près de 30 % en fréquence et en intensité depuis 2000, menaçant l’agriculture, la sécurité de l’eau et les moyens de subsistance de 1,8 milliard de personnes, plus dans les pays les plus pauvres qui subissent les graves conséquences, les Parties prenantes, en-tête les Autorités Onusiennes et le pays hôte, se sont fortement engagées pour un nouveau régime fertile et propulseur des solutions durables pour lutter contre la sécheresse.
En s’adressant aux délégués à la COP16, la Secrétaire Générale des Nations-unies, Mme Amina J. Mohammed, a planté le décor en soulignant les défis croissants posés par la dégradation des terres et la sécheresse : «Jamais auparavant, autant de personnes n’ont été touchées par la dégradation des terres et la sécheresse, engendrant plus d’inégalités croissantes, plus de pauvreté. Sur la base des tendances actuelles, d’ici 2050, trois personnes sur quatre seront touchées par la sécheresse dans le monde. Mais vous êtes à Riyadh pour inverser la tendance », a t’elle indiqué.
Pour sa part, Ibrahim Thiaw, Secrétaire exécutif de la CNULCD, dans son discours d’ouverture, a déclaré que : «Nous sommes tous réunis ici pour faire de la COP16 un moment historique. Le monde attend des Parties qu’elles adoptent une décision audacieuse qui puisse contribuer à inverser la tendance face à la catastrophe environnementale la plus répandue et la plus perturbatrice : la sécheresse ».
Dès le début des négociations sur la sécheresse, 15 milliards de dollars sont promis au Partenariat mondial de Riyadh pour la Résilience à la Sécheresse.
C’est Dr Abdulrahman Alfadley, président nouvellement élu de la COP16 et ministre Saoudien de l’Environnement, de l’Eau et de l’Agriculture, qui a annoncé cette importante contribution en réponse aux préoccupations liées à la sécheresse et soulignant que «la dégradation des terres affecte plus de trois milliards de personnes dans le monde et augmentera les niveaux de migration, d’instabilité et d’insécurité dans de nombreuses communautés ».
Comme on peut le remarquer, cette COP16 se distingue des autres par son engagement et l’offensive enclenchée dès l’ouverture pour inverser toutes les tendances avec l’établissement du premier régime mondial de résilience à la sécheresse qui a abordé et pris en compte les risques systémiques de sécheresse et la complexité (causes, formes, liens, conséquences, etc.) du phénomène mis en évidence dans plusieurs recherches scientifiques et les acquis compilés des leçons et décisions tirées des 7 dernières COP.
Tout le long des travaux et des négociations, les gouvernements parties prenantes ont porté leur attention sur les négociations et les rencontres multiacteurs sous l’arbitrage des entités scientifiques, visant à renforcer la résilience à tous les niveaux, en s’appuyant sur des nouvelles méthodes, des approches pertinentes et des activités adaptées, inclusives et durables.
C’est dire qu’une nouvelle dynamique consensuelle et inclusive est enclenchée à Riyadh avec un nouveau regime financier efficient, un dispositif organisationnel adapté et efficace, et des instruments robustes d’anticipation et d’aide à la décision pour relever le defi global de la désertification et de la sécheresse, in fine, inverser la tendance d’ici 2030.
Par ce nouveau régime fertile et propulseur des solutions, la COP16 marque deja sa trace et accélère la marche du CNULCD dans l’atteinte des ODD. Ce sont là les principales remarques qui ressortent de la COP16 de Riyadh.
L’Autre Républicain : Un side event particulièrement remarqué s’est tenu sur la restauration des terres dans les espaces transfrontaliers des bassins des fleuves Niger et Sénégal. Une des panelistes était notre compatriote Dr Fadji Maina qui est chercheure à la NASA. Quels sont les espoirs qu’on peut nourrir pour sauvegarder ces bassins ?
Dr Haboubacar Maman Manzo : Effectivement, à la COP16, le 11 décembre 2024, un side event de haut standing sur la restauration des terres dans les espaces transfrontaliers des bassins des fleuves Niger et Sénégal a marqué le déroulement de cette conférence des Nations-Unies sur la lutte contre la désertification et les sécheresses.
A ce side event attendu et de haut niveau de présentation et de partage sur la restauration des terres, dirigé par Professeur Mamadou Baro de l’Université d’Arizona, Directeur du programme NRAMP – USAID Niger et comme panelistes les éminentes personnalités chercheurs et haut cadres, dont les compatriotes Dr Fadji Zaouna Maina de la NASA, Dr Ousmane Seidou de l’Université d’Ottawa et M. Birane Wane, Expert International, Consultant en restauration des terres du Sénégal.
Une fois encore, le Niger et le Sénégal, toute la région du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest sont à l’honneur à cette COP16 de Riyadh, à travers l’excellence et l’expertise de nos concitoyens de la diaspora et grâce à l’université d’Arizona, qui assure le leadership de la recherche sur la résilience agricole.
Sur le fond des exposés de ce side event, les panelistes ont démontré le manque de connaissances sur la réalité des défis globaux qui accablent les espaces transfrontaliers du bassin des 2 fleuves du Niger et du Sénégal. Dr Maina Fadji a souligné l’importance de se servir des précieuses données satellitaires pour que le Sahel et les pays des bassins du Niger et du Sénégal s’alignent avec le reste du monde pour la restauration des terres en faisant usage des connaissances et autres outils technologiques, fiables et crédibles pour aider à la bonne prise de decision et l’atteinte des résultats probants sur le terrain.
Il faut une véritable reconversion et une réadaptation des mentalités. Il nous faut un changement de comportements des décideurs et de toutes les parties prenantes, et surtout un recalibrage des connaissance aux normes et standards scientifiques actuels pour une mise à jour des compétences et des solutions durables de lutte contre la détérioration des terres.
La subjectivité et l’incompétence sont des pesanteurs qui obstruent l’accès aux résultats et qui fracturent la dynamique du progrès et le développement durable.
Cette rencontre scientique a honoré notre pays, le Niger, grâce à notre concitoyenne Dr Fadji Zaouna Maina de la NASA, qui a rehaussé l’éclat de la COP16 à travers sa participation active à plusieurs fora, side event et panels avec des exposés denses à la hauteur et la portée scientifiques des événements organisés. Ce qui a permis d’édifier le monde entier sur le besoin et l’utilité de se servir des outils satellitaires, des connaissances, des informations de terrain et du vécu des communautés pour lutter efficacement contre la désertification et les sécheresses.
Ce side event phare de la COP16 a servi de cadre d’échanges entre experts scientifiques, décideurs et techniciens de terrain, pour mettre les intelligences en relation et capitaliser le savoir-faire avec les besoins communautaires, conformer et moduler les solutions à l’échelle, selon chaque réalité du terrain.
Tel est l’espoir de taille né de cet important side event à la COP16 qui a établi le pont entre les compétences et les expertises de la diaspora et des acteurs de terrain pour une mise à niveau des connaissances, des outils technologiques et scientifiques qui gêneréront des solutions réalistes et durables de lutte contre la désertification et la sécheresse dans les bassins du Niger et du Sénégal, à la faveur des facteurs favorables et des ressources compétentes tant locales que celles de la diaspora.
L’Autre Républicain : Au cours de la cérémonie d’ouverture et même lors des travaux, une des préoccupations a été celle d’établir des liens entre sécurité foncière, restauration des terres et systèmes alimentaires durables. En quoi, cela peut-il interpeller un pays comme le Niger ?
Dr Haboubacar Maman Manzo : Évidemment, l’inter-relation indiscutable entre la sécurité foncière, la restauration des terres et les systèmes alimentaires durables a été démontrée, mise en exergue, défendue et plaidée tout au long de la COP16 de Riyadh.
Cela prouve à suffisance les arguments scientifiques qui fondent la prise de decision et qui inspirent les débats et discussions durant la conférence des Parties sur la lutte contre la désertification et les sécheresses.
Face aux grands défis, il n’y a pas lieu de s’attarder sur des systèmes alimentaires durables et viables, sans s’assurer en amont de la sécurité de la base productive du domaine foncier qui les constitue et de son accès pour une mise en valeur.
Toute activité agricole se base sur un substrat, une parcelle, une exploitation, un champ, un domaine ou un territoire, dont la sécurité donne et assure l’accès et la mise en valeur des cultures et d’animaux pour des systèmes alimentaires capables de satisfaire le besoin alimentaire, social et économique des communautés.
Si la sécurité foncière n’est pas garantie et l’accès à sa terre n’est pas possible, comme c’est le cas au Sahel et dans certaines zones du Niger, à cause de l’insécurité, de la sécheresse, des conséquences du changement climatique, des inondations, etc, il ne peut être question de bâtir des systèmes alimentaires durables.
La sécurité foncière est à la base des conditions qui définissent l’exploitation des terres agricoles. Mieux, leur restauration n’est possible et utile que lorsque la terre et son exploitant sont en sécurité pour être capables de conduire des systèmes alimentaires bénéfiques et durables.
Propos recueillis par Elh. M. Souleymane
L’Autre Républicain du jeudi 2 janvier 2025