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Niamey
30 janvier, 2025
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Célébration de l’An 1 de la sortie de l’AES de la CEDEAO : Un acte de résistance ou un refus des élections ?

La place de la concertation de Niamey a servi de cadre à un meeting, le mardi 28 janvier dernier. Un grand nombre de partisans du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) se sont rassemblés pour célébrer l’An 1 de la sortie des États membres de l’Alliance des États du Sahel (AES) de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Au-delà du spectacle d’une foule en liesse, ce rassemblement soulève plusieurs interrogations sur les véritables motivations politiques et les implications de cette décision, qui marque une rupture significative dans les relations entre ces États et la communauté régionale.

L’un des arguments majeurs avancés par les dirigeants de l’AES pour justifier leur décision de quitter la CEDEAO réside dans les tensions croissantes avec cette institution, notamment en raison de la gestion du retour à l’ordre constitutionnel dans des pays notamment au Mali et au Burkina Faso. En effet, le 28 janvier 2024, les gouvernements du Burkina, du Mali et du Niger annonçaient leur retrait, invoquant des griefs qui semblaient masquer une réalité bien plus complexe. D’après les analystes, la véritable raison de cette rupture réside dans le refus des régimes en place de se soumettre aux exigences de la CEDEAO en matière de rétablissement de l’ordre constitutionnel et de transfert du pouvoir aux civils.

Dans ce contexte, la décision de l’AES semble être dictée davantage par un désir d’échapper à la pression exercée par la CEDEAO que par un véritable projet d’autodétermination. En effet, les appels répétés de la CEDEAO pour que ces pays respectent leurs engagements de retour à la démocratie ont été perçus par les régimes en place comme une forme d’ingérence. Cependant, cette rupture s’inscrit dans un cadre plus vaste de montée des régimes militaires, qui trouvent dans cette posture de défiance une occasion de renforcer leur autorité interne en exploitant le sentiment anti-CEDEAO et anti-occidental qui a pris de l’ampleur dans la région.

Le rassemblement de Niamey, bien que placé sous le signe de la célébration de cette sortie de la CEDEAO, a rapidement pris des allures de manifestation orchestrée, où des voix autorisées ont multiplié les discours enflammés contre l’institution communautaire. Des représentants du CNSP, ainsi que des leaders de la société civile, des syndicats et d’autres associations proches du pouvoir, se sont succédé au micro pour vanter les mérites de l’AES et dénoncer ce qu’ils appellent l’hégémonie de la CEDEAO, jugée trop proche de la France et de ses intérêts. Des banderoles hostiles à la CEDEAO et à son président, Jean-Claude Kassi Brou, ont été brandies, et un fanion de l’organisation a même été brûlé en signe de protestation symbolique.

Cependant, cette mise en scène de l’unité et de la résistance à l’ordre régional soulève des nombreuses questions. En dépit de la virulence des discours et de la foule mobilisée, il est difficile d’ignorer les contradictions qui traversent cette dynamique. D’abord, les pays de l’AES, bien qu’ils cherchent à afficher une solidarité entre eux, sont profondément dépendants des autres membres de la CEDEAO, notamment pour l’approvisionnement en marchandises via les ports de la région ou l’approvisionnement en électricité. Aussi la diaspora des pays de l’AES, dont une grande majorité vit dans les États membres de la CEDEAO, joue également un rôle essentiel dans les économies de ces nations. Cette réalité semble contredire les discours anti-CEDEAO et montre que la rupture avec l’institution n’est pas dénuée de conséquences économiques et sociales fâcheuses.

Les dirigeants de l’AES, bien que recevant une rallonge de six mois de la part de la CEDEAO lors du sommet du 15 décembre 2024, à Abuja, maintiennent leur position et affirment que leur décision est irréversible. Ce refus d’un compromis met en lumière un fossé grandissant entre ces États et l’institution communautaire, dont les efforts pour ramener ces pays à un processus de transition démocratique semblent voués à l’échec. Cependant, la persistance des régimes militaires dans cette voie montre aussi une forme de défiance face à un modèle démocratique qu’ils jugent incompatible avec leurs objectifs politiques et militaires.

Le meeting du 28 janvier 2025 à Niamey, loin d’être simplement une célébration de la sortie de la CEDEAO, illustre l’enlisement des régimes militaires dans leur logique autoritaire. Si certains voient dans cette rupture un acte de souveraineté, il semble évident que cette décision n’est en réalité qu’un symptôme d’un recul démocratique marqué par la montée de régimes militaires, qui, sous couvert de résistance à des puissances extérieures, ne font que renforcer leur mainmise sur le pouvoir. Les peuples de la région, tout comme les observateurs internationaux, devront garder à l’esprit les enjeux bien plus vastes de cette crise, qui dépasse les frontières d’un simple conflit intergouvernemental pour toucher les bases mêmes de la démocratie et de la stabilité en Afrique de l’Ouest.

Aux dernières nouvelles, on apprend que la CEDEAO a remercié ses fonctionnaires ressortissants des pays de l’AES, exerçant dans ses différentes institutions. Pour l’heure, on ne connait pas leur nombre.

Mahamadou Tahirou

L’Autre Républicain du jeudi 30 janvier 2025

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