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16 janvier, 2025
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18 mois de transition militaire : Le Niger à vau-l’eau…

Très tôt, depuis 18 mois, nous avons qualifié le putsch du général Abdourahamane Tiani de ‘’coup de Jarnac’’. En d’autres termes, un coup porté de façon tout à fait inattendue à notre processus démocratique sous un ciel tranquille. Ce coup a été célébré comme une révolution (refondation) par certains opportunistes et autres porteurs d’eau qui ont fini par vite déchanter. Avec le recul, la réalité a fini par s’imposer aux esprits les plus incrédules : le coup d’Etat du 26 juillet 2023 n’est qu’un pacte faustien, un complot visant simplement à écarter le président Mohamed Bazoum. Le reste, tout le reste n’est que mise en scène pour mobiliser le peuple et continuer à gérer les affaires au profit des officines qui ont pignon sur rue depuis les douze ans de la Renaissance.

En politique, tous les moyens sont bons, dit-on. Pour consolider leur pouvoir, les membres de la junte font recours y compris aux féticheurs en consacrant le chirk pourtant formellement condamné par l’Islam. Ces féticheurs prétendent mobiliser leur armada de génies pour la sauvegarde de la patrie. L’audience largement médiatisée de la junte avec les associations des zimas, qui s’est déroulée la semaine dernière, défraie toujours la chronique.  Les tombeurs de Mohamed Bazoum tentent vainement de le discréditer voire de le liquider politiquement. C’est comme qui dirait, aller à l’encontre de la volonté du Créateur, qui élève qui Il veut et rabaisse qui Il veut. N’en déplaise à ses détracteurs, en dépit de cette épreuve à lui imposée et au peuple nigérien, Mohamed Bazoum reste et demeure un leader exceptionnel, une sorte de ‘’self-made man’’ forgé grâce à l’école et à la rencontre avec les valeurs universelles. Ses deux ans au pouvoir ont permis aux Nigériens de réaliser l’impact d’un leadership démocratique avec comme vertus le dialogue avec toutes les couches socio-professionnelles du pays, l’ouverture au monde avec une diplomatie dynamique, la reddition des comptes avec un sens élevé de responsabilité, et une gouvernance vertueuse des deniers publics. Sa résistance face à ses bourreaux force l’admiration du monde entier.

C’est un truisme que de le dire, le Niger est passé, sous le magistère du général Tiani, de la République respectable et respectée, au statut d’Etat dont l’image est écornée aux yeux de la Communauté internationale. En effet, la triste réalité c’est que le pays est engagé dans le scénario indéchiffrable. Même certains zélateurs du régime en place commencent à dire que depuis le 26 juillet 2023, le Niger est plongé dans la tourmente, le pays est bloqué, la boite de pandore est ainsi ouverte de sorte que tout est possible si on n’y prend garde. « Les gens veulent nous embarquer dans une pensée unique pour leurs seuls intérêts. Quel est le nigérien qui se satisfait de notre situation actuelle ? Seul un petit groupe tire profit d’une situation qui se complique de jour en jour. Non, dire la vérité ce n’est pas détester Tiani, c’est lui demander de changer de trajectoire pour un Niger meilleur », écrit Bounty Diallo, ancien professeur de philosophie, sur son profil Facebook.

Très malheureusement, derrière le discours populiste et souverainiste, les masques continuent de tomber. Parmi les porteurs du projet de la déconstruction de la République, les observateurs ont identifié plusieurs catégories d’acteurs à intérêts divergents. Il importe d’en faire un monitoring des pourfendeurs de notre processus démocratique, tous ceux-là qui ont activement contribué à la violation des droits humains et des libertés fondamentales acquises de haute lutte par le peuple nigérien.

L’inertie de la classe politique

Après la démolition des institutions intervenue avec le coup de Jarnac du 26 juillet 2023, entre autres mesures, le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) avait pris le soin de suspendre les partis politiques. Depuis lors, les leaders politiques sont en hibernation, une sorte de laxisme en comptant sur le bon vouloir de la junte pour leur remettre le pouvoir sur un plateau d’argent. Même quand la junte de connivence avec une certaine société civile bat le pavé pour dire ‘’Non aux élections’’, cela n’a fait ni chaud ni froid à ceux-là dont la vocation est de conquérir et d’exercer le pouvoir ! Quand est-ce que les leaders politiques vont-ils se tirer de leur sommeil dogmatique ?

A bien d’égards, cette inertie de la classe politique nigérienne ne se justifie pas quand on sait que celle-ci n’est pas à son premier coup d’essai face aux régimes d’exception. Plus d’un analyste se demande à quoi rime le silence assourdissant de l’élite politique du pays face à une situation qui s’apparente au nœud gordien qu’il importe de trancher. Nous avons dénoncé à travers nos précédentes éditions la lâcheté, la complicité voire l’infamie de certains acteurs politiques dans la survenue des événements du 26 juillet 2023. D’ailleurs, il est fort à parier que la posture actuelle des leaders politiques n’a d’autre explication que la complicité de quelques-uns et l’opportunisme d’autres leaders au sein du gotha politique nigérien.

Dans un échange avec un analyste politique sur la rumeur de dissolution de certains partis politiques, très surpris, notre interlocuteur a réagi en ces termes :  “Stratégiquement quel est l’intérêt de dissoudre des partis qui ont tout fait pour accompagner la junte dans sa démesure ? C’est un secret de polichinelle, tous ces partis politiques ont fait des appels de pieds à la junte qui les a ignorés”.

Et notre interlocuteur d’ajouter, “normalement même par dépit, ils devront réagir face aux agissements de la junte et ses larbins lorsque ces derniers rabâchent que le Niger n’a pas besoin de démocratie. A quoi servent les partis sans espace civique ? A la place de la junte je ne ferai pas l’honneur de les dissoudre puisqu’ils se sont suicidés eux-mêmes.” En d’autres termes, ce serait un acte contreproductif, tirer sur une ambulance que de prêter attention à ceux qui se sont reniés la queue molle entre les pattes.

Du fait du laxisme des leaders politiques, le processus démocratique est en passe d’être altéré par des nouveaux acteurs opportunistes qui sont en train de pousser la junte à la faute.  Nombre de ces acteurs laboussanistes feront corps avec ceux qui ont la force aujourd’hui c’est à dire les militaires quelle que soit leur option. Pour ces derniers, selon leur logique, c’est la fin de la démocratie. Les militaires qui continuent avec ou sans élections font leur affaire.

Dans la gestion d’une entreprise comme celle d’un Etat, dresser un bilan, évaluer les actions pour jauger si l’on est sur la bonne voie dans l’atteinte des objectifs, constitue le procédé le plus rationnel. Après la mise entre parenthèses des institutions au Mali, au Burkina Faso et au Niger, peut-on dire aujourd’hui que les objectifs annoncés en grandes pompes par ces régimes militaires ont été atteints ?

Très malheureusement, les citoyens de ces pays qui ont cédé au populisme sont en train de déchanter : ils ont sacrifié les libertés fondamentales pour se retrouver dans l’impasse. Les promesses sécuritaires s’avèrent être un mirage et les libertés publiques sont de plus en plus menacées. La maxime prêtée à Benjamin Franklin en dit long : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et finit par perdre les deux ».

La complicité des contre-pouvoirs

Dans le processus de démolition des institutions républicaines intervenu le 26 juillet 2023, des organisations de la société civile (OSC) ont contribué comme porteurs d’eau à la junte. A l’occasion du 1er anniversaire du coup d’Etat du général Tiani, certaines structures et acteurs de la société civile ont été récompensés. L’Union des scolaires nigériens (USN), le Mouvement Patriotique pour une Citoyenneté Responsable (MPCR) de Nouhou Arzika et le M62 ont reçu chacun la médaille de Souveraineté Sarauniya Mangou pour services rendus à la Nation, apprend-on. Ces OSC, filles de la démocratie, ont révélé au grand jour que leurs dirigeants ne sont que des opportunistes qui suivent la direction du vent. Quelles leçons retiendront ‘’les jeunes esprits en formation’’ d’une structure progressiste comme l’USN ? Peut-on être démocrate à un certain moment et fasciste à un autre ?

Très malheureusement, derrière le discours populiste et souverainiste, les masques continuent de tomber, avions-nous observé dans une autre tribune libre. Parmi les porteurs d’eau du projet de la déconstruction de la République et de la démocratie, les observateurs ont identifié plusieurs catégories d’acteurs à intérêts divergents. Après le putsch ‘’sous un ciel tranquille’’, plusieurs acteurs ont subitement changé de fusil d’épaule en offrant leurs services ou contre valeurs à la junte. A tous les niveaux de la société, les analystes ont observé çà et là, des opportunistes de tout acabit sortir du bois sans vergogne, souvent face aux caméras pour rivaliser dans la déconstruction des acquis démocratiques.

Nous avons observé qu’il y a des opportunistes qui mettent en avant la politique pour récupérer l’aventure ou se remettre en selle. Le coup d’Etat constitue pour eux, comme qui dirait, du pain béni.  Il y a une seconde catégorie connue pour son discours populiste et son activisme outrancier dans la dénonciation de la dégradation de la situation sécuritaire et la mal gouvernance. Ceux-là ont désormais changé de posture puisqu’ils ont renoncé à la défense et la promotion de la démocratie et des droits de l’Homme. On l’aura compris, ces ‘’fachos assumés’’ comme les appelle Moussa Tchangari, Secrétaire général de l’Association Alternative Espaces Citoyens, sont dans une autre perspective ; par conséquent, ils ferment les yeux sur la situation sécuritaire et les pratiques corruptives actuelles. Le chant de sirène ‘’labo sanni no’’ a eu raison de leur engagement pour les valeurs et principes républicains.

Il y a également les anciens ‘’tazartchistes’’ (les accoucheurs de l’éphémère 6è République) qui ont des comptes à régler aux démocrates qui ont empêché à leur projet anachronique de prospérer. Ceux-là rêvent d’un retour de la refondation qui avait consacré la démolition de la 5è République. Ils vivent le tourbillon actuel comme une sorte de réhabilitation, de revanche contre la coalition des démocrates opposés à leur projet de démolition des institutions. 

Il y a enfin tous ceux-là qui tirent quelques prébendes dans la mobilisation des gens à des fins de propagande. C’est dire que tout ce monde n’est pas logé à la même enseigne. A ce beau monde s’ajoutent quelques ‘’intellos’’ francs-tireurs qui interviennent à travers les médias publics et privés comme instruments de propagande. Ces coupeurs de cheveux en quatre ont caressé l’animal dans le sens du poil en accusant notre processus démocratique d’être la cause de notre sous-développement. Dans ce tourbillon, même certains leaders religieux n’ont pas su faire montre de retenue. Certains d’entre eux ont été récompensés par la junte pour services rendus. Les voix discordantes sont tenues en respect par la prison ou la menace de perdre leur nationalité. Une des figures emblématiques de notre processus démocratique, Moussa Tchangari vient d’être déporté à la prison civile de Filingué mais ‘’circulez y’a rien à voir’’, semblent dire ses compagnons de lutte tapis dans la société civile laboussaniste.

Interrogé par nos soins en mai 2024 sur la posture des contre-pouvoirs notamment les OSC, Moussa Tchangari a été très clair : “Les soutiens zélés des juntes sahéliennes, et même parfois quelques brillants intellectuels, essaient de nous faire admettre que tous les problèmes de nos pays ont commencé avec l’avènement de ce qu’ils appellent la démocratie importée voire imposée de l’extérieur ; mais, quand on écoute bien leurs diatribes sur ce sujet, l’on est frappé autant par la justesse de certains griefs qu’ils font à celle-ci, et qui portent d’ailleurs essentiellement sur la pratique qui en est faite dans nos contrées, que par l’absurdité des solutions qu’ils proposent ou soutiennent, et qui se résument à un retour à l’autoritarisme d’antan”.

Les libertés confisquées….

A travers un article scientifique publié en mars 2024 intitulé ‘’Niger : la société civile contre la démocratie’’, Dr Garba Abdoul Azizou, ancien directeur adjoint du Centre National d’Etudes Stratégiques et de Sécurité (CNESS) a mis en exergue la liaison dangereuse entre la junte et une certaine société civile contre notre processus démocratique. “Mais, depuis le coup d’État du 26 juillet 2023 qui a déchu le président Mohamed Bazoum, on découvre une société civile qui soutient inconditionnellement la junte militaire. Certains de ses acteurs, connus pour leur engagement en faveur de la démocratie, ont paradoxalement décidé de lui apporter leur soutien en dépit du démantèlement des institutions démocratiques. A travers une alliance circonstancielle, la société civile et la junte essayent de justifier le coup d’État en dénonçant la présence des bases militaires étrangères, et en pointant la mauvaise gouvernance politique des régimes précédents et leurs difficultés à résoudre les problèmes d’insécurité”, a fait observer le chercheur Abdoul Azizou. Il a également mis en évidence les postures à géométrie variable de certains acteurs de la société civile. En feignant d’ignorer leur raison d’être à savoir qu’il n’y a pas de société civile sans démocratie, ces structures de la société civile engagée dans la remise en cause des institutions de la République portent la responsabilité de la dégradation des droits humains dans notre pays. Une de leurs limites objectives inhérentes à leur idylle avec la junte, c’est leur silence assourdissant sur la situation sécuritaire et la mal gouvernance, leur cheval de bataille sous le régime renversé. Certains sont rattrapés par leurs attitudes outrancières dans la dénonciation des attaques terroristes et des pratiques corruptives dans le pays. C’est ainsi que de proche en proche, les libertés sont confisquées avec la complicité de ceux qui sont censés les défendre. Le président Mohamed Bazoum, son épouse Hadiza ainsi que certains ex dignitaires continuent de garder prison. On se demande en vertu de quelle rationalité ces personnalités continuent d’être détenues ? Dans les autres pays, les juntes ont libéré même les chefs d’Etat qu’ils ont déposés. Le comble, la junte nigérienne a osé même déchoir de leur nationalité des gens ayant la nationalité nigérienne d’origine, ce qui est inédit selon d’éminents juristes nigériens.

Dans un billet, notre confrère malien Mohamed Attaher Halidou a écrit : “Si les libertés sont confisquées, c’est parce que l’opinion publique applaudit sans comprendre les dérives totalitaires et les injustices de tous ordres. Si les libertés sont confisquées, c’est parce que les artistes n’ont plus d’inspiration et préfèrent plaire avec des discours démagogiques loin de leur art, le beau, au service du public. » Est laid en art, tout se rit sans motif. Si les libertés sont confisquées, c’est parce que les intellectuels rasent les murs et ont accepté le règne de la pensée unique, en se rendant complices de la mort de la pensée et de la réflexion dans le pays.”

Il y a tout de même quelques rares OSC qui restent vent debout pour la défense et la restauration de la démocratie. L’Association nigérienne de lutte contre la corruption, section de Transparency international au Niger et l’Association des jeunes avocats du Niger (AJAN) ont dénoncé la recrudescence de violations des droits humains à travers les arrestations extrajudiciaires et l’impossibilité pour les avocats de défendre leurs clients. Les jeunes avocats dénoncent également l’incapacité de la justice à faire respecter et exécuter ses propres décisions.

Les paroles fortes du président du CNSP sur la nécessité de revoir l’approche sécuritaire n’ont malheureusement pas été suivies d’actions concrètes et efficaces pour protéger les citoyens et assurer la stabilité du pays. Qu’est ce qui peut expliquer ce paradoxe ? Motus et bouche cousue.

En ce qui concerne la lutte contre la mauvaise gouvernance, les actions du CNSP ont soulevé des inquiétudes. L’ordonnance 2024-05, conçue pour faciliter des dépenses en dehors des procédures légales, a suscité des critiques des médias et des OSC fidèles au cadre démocratique et à l’exigence de transparence dans la gestion des ressources publiques. Au lieu de mettre fin à la corruption et à l’impunité, le CNSP semble avoir ouvert la voie à des pratiques douteuses qui vont à l’encontre des intérêts du peuple nigérien.

Après 18 mois de transition militaire, la gouvernance du général fait peu de cas des préoccupations existentielles du peuple de sorte que des citoyens se demandent où va le Niger.

Pendant ce temps, la situation sécuritaire du pays reste préoccupante. Dans leur zone de confort, les récipiendaires de la médaille de Souveraineté Sarauniya Mangou se délectent certainement de leurs gadgets sur fond de mépris du quotidien du peuple.

Elh. M. Souleymane

L’Autre Républicain du jeudi 9 janvier 2025

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