Le ministre du Commerce et de l’Industrie a pris une décision, le 29 novembre dernier, pour suspendre les activités commerciales de plusieurs établissements de vente de ciment, pour une durée de 15 jours, suite à la non-conformité avec les nouveaux prix fixés par le gouvernement. Ce dernier a décidé que la tonne de ciment gris 32.5, auparavant vendue à 80.000 FCFA à Niamey, devait désormais être vendue à 55.000 F, un tarif bien en dessous de celui pratiqué sur le marché, où le prix atteignait souvent 65.000 F. Moins de deux semaines après la fin de la mise en œuvre de la mesure, nous avons enquêté pour comprendre l’évolution de la situation et les répercussions sur les différents acteurs du secteur.
Nous avons d’abord rencontré plusieurs vendeurs dans différents points de vente de ciment à Niamey, qui se sont montrés partagés quant à la nouvelle tarification. Si certains affirment ne pas être contre l’idée d’un tarif gouvernemental, la majorité déplore le manque de concertation préalable avec les commerçants. Selon eux, l’absence de dialogue a démontré un décalage entre la réalité du terrain et les attentes du gouvernement.
Le prix de la tonne de ciment, comme plusieurs commerçants nous l’ont expliqué, ne se limite pas uniquement au prix fixé par l’usine. En effet, la tonne de ciment est vendue à 45.000 F à l’usine ; à ce montant, il faut ajouter le coût de transport. Si l’usine fournit la logistique, le transport s’élève à 8.000 F. En revanche, si un autre transporteur est utilisé, les frais grimpent entre 12.000 et 13.000 F. Une fois à Niamey, les grossistes vendent la tonne à 54.000 francs si le transport est pris en charge par l’usine, et entre 58.000 et 60.000 F avec un transporteur externe. Ajoutez à cela les frais de stockage et de manutention. Tous ces coûts additionnés ne permettent pas aux vendeurs de respecter le prix imposé par le gouvernement. Il faut noter que les grossistes ne vendent que des camions entiers aux vendeurs qui, eux, stockent, étalent et vendent par tonnage ou en détail aux consommateurs.
Certains vendeurs de ciment ont exprimé leur mécontentement suite aux sanctions qui ont consisté à la suspension de leurs activités. « Nous ne pouvions plus vendre, malgré nos efforts pour respecter les nouvelles règles, car il n’y a aucun bénéfice », nous confie l’un d’eux. D’autres ont cherché des solutions alternatives, comme l’augmentation des prix pour d’autres produits ou la vente partielle de ciment, mais l’impact reste limité.
Les conséquences de la fixation du prix ne se limitent pas aux vendeurs de ciment. De nombreux transporteurs ont également dû changer d’activité en raison de l’effondrement de leur rentabilité. « Je ne transporte plus de ciment depuis que le gouvernement a imposé ce prix fixe. Il n’y a aucun bénéfice à faire ce métier maintenant », témoigne un transporteur, soulignant l’impossibilité de dégager une marge suffisante pour justifier son travail.
Les clients, qu’ils soient particuliers ou entreprises, ont également ressenti les effets de cette mesure. De nombreux consommateurs nous ont indiqué que les prix ont augmenté dans les points de vente non contrôlés par les autorités. Certains ont même noté que l’approvisionnement en ciment avait été perturbé pendant la période de sanctions. Cependant, pour beaucoup, le prix du ciment reste un point sensible. Les prix plus bas annoncés par le gouvernement ne semblent pas toujours se traduire dans la réalité, ce qui entraîne une confusion et une frustration chez les consommateurs.
Les réponses des autorités et la justification des mesures
Il a été décidé que l’objectif de cette mesure était de rendre le ciment plus accessible à la population, en luttant contre la spéculation et les hausses abusives des prix. « Le gouvernement veut garantir que tout le monde puisse se procurer du ciment à un prix abordable pour favoriser les projets de construction », a expliqué un représentant du Ministère du Commerce et de l’Industrie. Il a aussi souligné que des contrôles ont été renforcés sur le terrain pour vérifier et veiller que les prix sont respectés. Mais, comme l’admettent certains vendeurs, ces contrôles ne sont pas toujours efficaces et sont parfois absents dans certains coins de la ville, ce qui crée un jeu du chat et de la souris entre vendeurs et contrôleurs.
Cette situation met en évidence un déséquilibre entre les objectifs du gouvernement et les réalités économiques du marché. Alors que le gouvernement cherche à rendre le ciment plus accessible, à un prix fixe, sans ajustement des coûts réels, il met en péril la rentabilité des vendeurs et des transporteurs. Si cette politique continue sans prise en compte des réalités du marché, des risques de pénuries et de spéculation pourraient surgir, avec des conséquences néfastes pour les consommateurs.
La mesure de fixation du prix du ciment, bien qu’ayant des objectifs louables, semble ne pas tenir compte des réalités économiques du marché, notamment les coûts de transport et de stockage. Les vendeurs, les transporteurs et les consommateurs sont pris dans un cercle vicieux où l’absence de rentabilité menace non seulement la survie de certains acteurs, mais aussi l’approvisionnement régulier des marchés en ciment. Le gouvernement devra sans doute revoir sa politique pour éviter des tensions à long terme et garantir une meilleure régulation du secteur, tout en prenant en compte les défis du marché.
Mahamadou Tahirou
L’Autre Républicain du jeudi 26 décembre 2024