Ambroise arrive d’Afrique centrale par un chemin détourné. Djibril a fui sa Libye natale en raison de persécutions religieuses. L’ami Mohammed s’est sauvé d’une mort certaine en Somalie. Ibrahim, expulsé du centre d’hébergement du HCR où il résidait depuis un an, s’est vu voler la somme qui lui avait été remise pour payer son loyer. Moussa a été réfugié au Maroc dans sa jeunesse et se retrouve aujourd’hui, perdu même mentalement, à Niamey à la recherche d’une orientation pour sa trajectoire de vie. Deux jeunes gens portant le même nom ethnique, Dinga, se sont échappés du Soudan du Sud, le dernier des pays reconnus à vivre de la guerre et de la misère. Et puis tous les autres jeunes, adultes, familles, femmes et mères avec enfants. Réunis par une même identité précaire. Demandeurs d’asile ! Ils montrent ce document délivré par les autorités locales compétentes. Grâce à cette éphémère « reconnaissance » à valeur juridique, ils bénéficient d’une protection humanitaire comme tout citoyen de ce pays, le Niger, transformé en « terre d’asile ».
Il s’agit d’une attestation d’identité transitoire qui sanctionne un état de vie dont la durée se compte en mois ou en années. Ces personnes, citoyens indéfinis, sont peut-être le symbole le plus éloquent de la condition humaine, de notre condition de créatures de poussière. En quête d’asile et de protection, d’un lieu où vivre, d’une terre où marcher et d’un avenir à reconstruire, c’est tout ce qui constitue, avec la violence et les blessures, notre humanité perdue et parfois retrouvée. Ils n’ont pas de maison, pas de langue à habiter, pas de nourriture pour manger, pas de vêtements pour s’abriter et pas de visages amis à qui confier leurs larmes. Ils sont, parmi les demandeurs d’asile, notre miroir le plus authentique, vrai et démasqué par les pièges de la rhétorique humanitaire, philosophique et parfois traître des religions. Nous sommes tous égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres, a prophétisé l’écrivain et critique social d’origine britannique George Orwell en son temps.
La « Déclaration de Niamey » de la « Conférence de Solidarité anti-impérialiste avec les peuples du Sahel », qui s’est tenue la semaine dernière, révèle une fois de plus le drame de notre époque et de l’Alliance des États du Sahel (AES) en particulier. Il s’agit du fossé entre la fin poursuivie et les moyens pour y parvenir. Il met en évidence le décalage entre une lecture historique des causes de la misère du Sahel et la justification des coups d’État. Ces derniers sont lus comme « l’incapacité des États à se protéger de l’agression impériale française et la complicité avec le terrorisme ». Les coups d’État sont également « l’expression du mécontentement populaire et un appel au changement ».
L’expérience historique nous apprend qu’entre la fin et les moyens il existe une relation inséparable de complicité. Même la fin la plus noble et la plus digne, la souveraineté et l’indépendance totales, comme l’a rappelé la conférence, sera trahie si les moyens ne sont pas en rapport avec la fin.
Le demandeur d’asile expérimente sur sa peau l’écart entre la reconnaissance de sa vulnérabilité et l’abandon dans la vie réelle. Le même gouffre existe entre l’annonce d’une transformation politique radicale et sa censure dans la vie politique des citoyens. Entre de nobles proclamations de souveraineté et une propagande de régime qui occulte la condition quotidienne des citoyens, devenus, pour la plupart, des « demandeurs d’asile » dans leur propre pays.
Mauro Armanino, Niamey, décembre 2024