Le 16 octobre dernier, un communiqué du Secrétariat Général du Gouvernement a annoncé une mesure controversée : l’interdiction d’exporter certaines céréales telles que le riz, le mil et le maïs. Le Mali et le Burkina Faso ne sont pas concernés par cette mesure. A première vue, cette décision prise par le président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), se veut protectrice de l’approvisionnement du marché intérieur et vise à garantir l’accessibilité de ces denrées essentielles à la population. Cependant, cette initiative soulève de nombreuses questions quant à sa mise en œuvre et à son efficacité réelle sur le long terme.
Cette interdiction semble être une réponse directe aux préoccupations croissantes concernant la sécurité alimentaire dans le pays. En empêchant l’exportation de ces produits, le gouvernement prétend vouloir s’assurer que les besoins de la population locale soient satisfaits. Cependant, une telle approche peut s’avérer réductrice. Les marchés ne fonctionnent pas uniquement selon des impératifs politiques ; ils sont également guidés par des principes économiques fondamentaux, tels que l’offre et la demande. En imposant une restriction sur les exportations, l’État risque de fausser le fonctionnement du marché, de créer des pénuries et engendrer un climat propice à la fraude, plutôt que de garantir l’approvisionnement et la constitution du stock de sécurité.
Un autre aspect préoccupant, c’est la fixation des prix d’achat des denrées par l’État lui-même dans le cadre d’une opération d’achat direct aux producteurs. En effet le gouvernement a établi des prix de référence pour le mil, le sorgho, le maïs, le niébé et le fonio qui sont, selon des experts en production agricole, en deçà des coûts de production réels supportés par les agriculteurs. Par exemple, le sac de 100 kg de mil est fixé à 19 500 FCFA, alors que le prix sur le marché peut être nettement supérieur. Cette décision semble plus punitive qu’incitative, négligeant le fait que les producteurs doivent être rémunérés équitablement pour leurs efforts. En agissant ainsi, l’État fait peser sur les producteurs une charge supplémentaire, alors même que ceux-ci luttent pour améliorer leurs rendements et la qualité de leurs produits.
L’État se retrouve donc dans une position délicate, tentant de réguler un marché qui, par essence, se régule lui-même. La question qui se pose est : comment le gouvernement peut-il faire respecter ces prix, alors qu’il n’est pas le producteur des denrées concernées ? L’expérience des mois passés sur le riz importé montre que les prix fixés par l’État ne sont pas toujours respectés. Pour rappel, en février 2024, le CNSP avait établi des prix de vente pour le riz à 13 500 FCFA à Niamey et légèrement un peu plus pour l’Intérieur du pays, mais ces prix n’ont pas été respectés. Cela souligne l’inefficacité des mécanismes de régulation étatiques face aux dynamiques du marché.
La question des sanctions pour les contrevenants à cette interdiction d’exportation soulève aussi des inquiétudes. Le gouvernement a annoncé qu’il appliquerait des sanctions, y compris la saisie des cargaisons. Cependant, cela pourrait engendrer des tensions entre les autorités et les producteurs. Les agriculteurs, déjà fragilisés par des conditions économiques difficiles pourraient se retrouver acculés par des mesures coercitives plutôt que soutenus par des politiques incitatives. Le rôle du gouvernement devrait davantage consister à créer un environnement favorable à la production locale, en encourageant l’innovation et en facilitant l’accès aux ressources, plutôt que de recourir à des mesures punitives.
Il est également important de considérer les implications de cette décision sur les relations interétatiques, notamment avec les États membres de l’AES que sont le Mali et le Burkina Faso. En exemptant ces pays de l’interdiction, le gouvernement pourrait créer des déséquilibres sur le marché régional notamment avec notre grand voisin sud, le Nigeria. Ce choix stratégique pourrait être perçu comme un manque de solidarité envers les agriculteurs nationaux qui sont plus proches de ce grand voisin, qui se battent pour maintenir leur activité face à des défis économiques croissants.
Bien que l’intention derrière cette interdiction d’exportation et la fixation des prix soit louable, il est juste d’analyser les implications de telles décisions à long terme. La régulation du marché ne peut se faire de manière unilatérale et autoritaire ; elle doit plutôt reposer sur des principes de collaboration entre l’État et les producteurs. Une approche plus équilibrée pourrait inclure des incitations à la production, des investissements dans l’infrastructure agricole, et un dialogue constant avec les acteurs du marché le long de nos frontières du sud où les transactions économiques sont plus florissantes.
Mahamadou Tahirou