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6 octobre, 2024
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Tribune : Pour la sauvegarde du droit de l’homme à une nationalité : réviser l’ordonnance n°2024-43 et la loi n° 2014-60

Par Diori Ibrahim, doctorant en droit public, FSJP/UAM

Par ordonnance n°2024-43 du 27 août 2024, il est institué, au Niger, un Fichier des Personnes, Groupes de personnes ou Entités (FPGE) impliqués dans des actes terroristes ou dans toutes autres infractions portant atteintes aux intérêts stratégiques et/ou fondamentaux de la Nation ou de nature à troubler gravement la tranquillité et la sécurité publique et fixant les modalités d’inscription et de retrait ainsi que les effets y relatifs.

L’économie aussi bien de certaines « causes » que de certains « effets » de l’inscription à ce FPGE soulève d’importantes préoccupations juridiques. Au nombre de ces effets particulièrement préoccupants, on peut et doit noter celui relatif à la déchéance de nationalité.

En effet, et au sens de cette ordonnance, la seule inscription à ce FPGE « peut » donner lieu à l’édiction d’un décret de « déchéance provisoire de la nationalité nigérienne », lorsque cette inscription est consécutive à une poursuite judiciaire enclenchée à l’encontre de l’intéressé pour « des faits ou des actes » mentionnés à l’article 3. Une longue liste des faits et actes y sont mentionnés, allant des actes terroristes à l’intelligence avec l’ennemi, en passant par divers autres actes au contour flou et imprécis comme « intelligence avec des agents d’une puissance estrangère, de nature à nuire à la situation diplomatique du Niger, diffusion de données ou de propos de nature à troubler l’ordre public, menace pour la stabilité́ de la nation, exposition des nigériens à des représailles, par des actes hostiles non approuvés par le Gouvernement », etc.

Au surplus, lorsque la poursuite judiciaire donne lieu à une condamnation à une peine « supérieure ou égale à cinq (5) ans d’emprisonnement », cette sanction judiciaire aura pour effet supplémentaire et connexe d’induire la transformation, par voie décrétale, de la « déchéance provisoire » en « déchéance définitive » de nationalité (art 9).  Que la nationalité soit d’origine ou d’acquisition ou que l’individu concerné dispose ou non d’une double nationalité, cette ordonnance ne distingue pas, d’où l’accroissement du risque d’apatridie.

Il y a lieu de parler « d’accroissement » du risque d’apatridie dans la mesure où ce risque existe déjà dans la loi n°2014-60 du 05 novembre 2014 portant modification des textes antérieurs relatifs au code de nationalité en ses articles 35 et suivants.

De ce fait, cette ordonnance renouvelle l’intérêt et l’actualité de s’interroger sur la légalité, sinon la conventionnalité de telle sanction au regard des engagements internationaux de l’Etat du Niger. En clair, l’Etat du Niger peut-il légalement déchoir un nigérien de sa nationalité, au point de le rendre apatride ?

L’examen de ses engagements internationaux suggère de dire largement non, car l’Etat du Niger a formellement adhéré, le 17 juin 1985, à la convention des nations unies sur la réduction des cas d’apatridie de 1961, dans des conditions que l’on sait.

En effet, il importe de préciser que cette convention est prise pour aménager les conditions de mise en œuvre de l’article 15 de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui consacre le droit de l’homme à une nationalité. Ce droit est aussi consacré dans d’autres instruments normatifs internationaux applicables au Niger comme le pacte international relatif aux droits civils et politiques (art 24), la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (art 6), etc.

Selon cette convention onusienne, « les États contractants ne priveront de leur nationalité́ aucun individu si cette privation doit le rendre apatride », art 8.1.  En d’autres termes, il est formellement interdit de déchoir un « mono » national de sa nationalité. 

Toutefois, deux blocs d’exceptions sont admissibles à ce principe.

Le premier bloc concerne (i) les « naturalisés » résidant à l’étranger pendant une période supérieure à sept années consécutives ; ceux-ci « peuvent », à l’expiration de ce délai, perdre leur nationalité si et seulement s’ils ne déclarent pas aux autorités compétentes leur intention de la conserver ; (iii) les « individus nés hors du territoire de l’État contractant ». Le maintien de leur nationalité, peut, plus tard, être conditionné par des exigences de résidence sur le territoire de cet État ou d’immatriculation auprès de l’autorité́ compétente de cet Etat ; et (iii) la déchéance d’une nationalité obtenue « au moyen d’une fausse déclaration ou de tout autre acte frauduleux ».

Le second bloc aménage les autres cas où un Etat peut « conserver la faculté » de priver un individu de sa nationalité en raison de « manque de loyalisme envers cet Etat ou de divers autres comportements de nature à porter un préjudice grave à ses intérêts essentiels ».

Il faut signaler que la conservation de cette faculté est formellement conditionnée par « une déclaration » spécifiant les motifs d’une telle privation et cette déclaration préalable doit être faite, « au moment de la signature, de la ratification ou de l’adhésion » à cette convention.

Or, force est de constater qu’à la différence des Etats comme Argentine, Autriche, Belgique, Brésil, Espagne, France, Géorgie, Irlande, Italie, Jamaïque, Lituanie, Nouvelle Zélande, Royaume-Uni, Togo et Tunisie, l’Etat du Niger n’a pas formulé cette déclaration préalable au moment de son adhésion à cette convention.

Par conséquent, l’Etat du Niger ne peut pas se fonder sur ce deuxième bloc d’exception pour déchoir quelqu’un de sa nationalité dans la mesure où aucun Etat ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non- exécution d’un traité. Dit autrement, les seules exceptions applicables au Niger sont celles relevant de la première catégorie, telles qu’elles sont spécifiées dans les alinéas pertinents des articles 7 et 8 de la convention précitée: nationalité obtenue par fraude, celle des naturalisés en cas d’absence prolongée hors du territoire du Niger et sans avoir exprimé l’intention de la conserver, ou celle des enfants nés hors du territoire national et qui, devenus majeurs/adultes, n’ont pas aussi souhaité remplir les conditions de la conserver.

Pour ces raisons, il revient au législateur nigérien, en l’occurrence le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie, de songer à réviser l’ordonnance n°2024-43 et la loi n° 2014-60 pour y extirper les dispositions manifestement inconventionnelles, au risque d’exposer les nigériens concernés à des souffrances indues, et les deniers publics et l’image de l’Etat à la sanction des institutions nationales et internationales de protection des humains.

Cette ordonnance mérite également d’être révisée en ce qu’elle tend ostensiblement à neutraliser le principe cardinal de présomption d’innocence, les droits d’aller et venir et le droit d’asile dans la mesure où la seule inscription au FPGE emporte instantanément à l’encontre des personnes concernées le « gel des avoirs financiers » par l’interdiction d’accès à leurs comptes bancaires, leurs investissements ou toutes autres ressources financières, l’interdiction de déplacement à l’intérieur du pays sauf autorisation, l’interdiction de voyage à l’étranger et la restriction des transactions commerciales.

Diori Ibrahim, doctorant en droit public, FSJP/UAM

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