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15 septembre, 2024
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Tribune libre : Les porteurs d’eau de la junte récompensés !

Dans le processus de démolition des institutions républicaines intervenu le 26 juillet 2023, des organisations de la société civile (OSC) ont contribué comme porteurs d’eau à la junte. A l’occasion du 1er anniversaire du coup d’Etat du général Tiani, certaines structures et acteurs de la société civile ont été récompensés. L’Union des scolaires nigériens (USN), le Mouvement Patriotique pour une Citoyenneté Responsable (MPCR) de Nouhou Arzika et le M62 ont reçu chacun la médaille de Souveraineté Sarauniya Mangou pour services rendus à la nation, apprend-on. Ces OSC filles de la démocratie ont révélé au grand jour que leurs leaders ne sont que des opportunistes qui suivent la direction du vent. Quelles leçons retiendront ‘’les jeunes esprits en formation’’ d’une structure progressiste comme l’USN ? Peut-on être démocratique à un certain moment et fasciste à un autre ?

Très malheureusement, derrière le discours populiste et souverainiste, les masques continuent de tomber, avions-nous observé dans une autre tribune libre en novembre 2023. Parmi les porteurs d’eau du projet de la déconstruction de la République, les observateurs ont identifié plusieurs catégories d’acteurs à intérêts divergents. Après le putsch ‘’sous un ciel tranquille’’, plusieurs acteurs ont subitement changé de fusil d’épaule en offrant leurs services ou contre valeurs à la junte. A tous les niveaux de la société, les analystes ont observé ça et là, des opportunistes de tout acabit sortir du bois sans vergogne, souvent face aux cameras pour rivaliser dans la déconstruction des acquis démocratiques.

Nous avons observé qu’il y a des opportunistes qui mettent en avant la politique pour récupérer l’aventure ou se remettre en selle. Le coup constitue pour eux, comme qui dirait, du pain béni.  Il y a une seconde catégorie connue par son discours populiste et son activisme outrancier dans la dénonciation de la dégradation de la situation sécuritaire et la mal gouvernance. Ceux-là ont désormais changé de posture puisqu’ils ont renoncé à la défense et la promotion de la démocratie et des droits de l’Homme. On l’aura compris, ils sont dans une autre perspective, par conséquent ils ferment les yeux sur la situation sécuritaire et les pratiques corruptives actuelles.  Le chant de sirène ‘’labo sanni no’’ a eu raison de leur engagement pour les valeurs et principes républicains.

Il y a également les anciens ‘’tazarchistes’’ (les accoucheurs de l’éphémère 6ème République) qui ont des comptes à régler aux démocrates qui ont empêché à leur projet anachronique de prospérer. Ceux-là rêvent d’un retour de la refondation qui avait consacré la démolition de la 5ème République. Ils vivent le tourbillon actuel comme une sorte de réhabilitation, de revanche contre la coalition des démocrates opposés à leur projet de démolition des institutions.  Il y a enfin tous ceux-là qui tirent quelques prébendes dans la mobilisation des gens à des fins de propagande. C’est dire que tout ce monde n’est pas logé à la même enseigne. A ce beau monde s’ajoutent quelques ‘’intellos’’ francs tireurs qui interviennent à travers les médias publics et privés comme instruments de propagande. Ces coupeurs de cheveux en quatre ont caressé l’animal dans le sens du poil en accusant notre processus démocratique d’être la cause de notre sous-développement.   Dans ce tourbillon même certains leaders religieux n’ont pas su faire montre de retenue. Certains d’entre eux viennent d’être récompensés par la junte pour services rendus. Sur la liste des récipiendaires, le Front patriotique pour la souveraineté (FPS) apparait comme le grand oublié par la junte. Pourtant ce mouvement n’a pas démérité dans l’affirmation de la souveraineté du pays. L’ absence des seigneurs de l’escadrille sur la liste des récipiendaires de la médaille de souveraineté résonne comme un camouflet. 

Interrogé par nos soins sur la posture des contre pouvoirs notamment les OSC, l’acteur de la société civile Moussa Tchangari est très clair : “Les soutiens zélés des juntes sahéliennes, et même parfois quelques brillants intellectuels, essaient de nous faire admettre que tous les problèmes de nos pays ont commencé avec l’avènement de ce qu’ils appellent la démocratie importée voire imposée de l’extérieur ; mais, quand on écoute bien leurs diatribes sur ce sujet, l’on est frappé autant par la justesse de certains griefs qu’ils font à celle-ci, et qui portent d’ailleurs essentiellement sur la pratique qui en est faite dans nos contrées, que par l’absurdité des solutions qu’ils proposent ou soutiennent, et qui se résument à un retour à l’autoritarisme d’antan”.

Les libertés confisquées avec la complicité des OSC

A travers un article scientifique publié en mars 2024 intitulé ‘’Niger : la société civile contre la démocratie’’, Dr Garba Abdoul Azizou a mis en exergue la liaison dangereuse entre la junte et une certaine société civile contre notre processus démocratique. “Mais, depuis le coup d’État du 26 juillet 2023 qui a déchu le président Mohamed Bazoum, on découvre une société civile qui soutient inconditionnellement la junte militaire. Certains de ses acteurs, connus pour leur engagement en faveur de la démocratie, ont paradoxalement décidé de lui apporter leur soutien en dépit du démantèlement des institutions démocratiques. A travers une alliance circonstancielle, la société civile et la junte essayent de justifier le coup d’État en dénonçant la présence des bases militaires étrangères, et en pointant la mauvaise gouvernance politique des régimes précédents et leurs difficultés à résoudre les problèmes d’insécurité”, a fait observer le chercheur Abdoul Azizou. Il a également mis en évidence les postures à géométrie variable de certains acteurs de la société civile. En feignant d’ignorer leur raison d’être à savoir qu’il n’y a pas de société civile sans démocratie, ces structures de la société civile engagée dans la remise en cause des institutions de la République portent la responsabilité de la dégradation des droits humains dans notre pays. Une de leurs limites objectives inhérentes à leur idylle avec la junte, c’est leur silence assourdissant sur la situation sécuritaire et la mal gouvernance, leur cheval de bataille sous le régime déchu. Certains sont rattrapés par leurs attitudes outrancières dans la dénonciation des attaques terroristes et des pratiques corruptives dans le pays. Circulez y’a rien à voir, pourrait-on interpréter leur posture actuelle. C’est ainsi que de proche en proche, les libertés sont confisquées avec la complicité de ceux qui sont censés les défendre.

Dans un billet, notre confrère malien Mohamed Attaher Halidou a écrit : “Si les libertés sont confisquées, c’est parce que l’opinion publique applaudit sans comprendre les dérives totalitaires et les injustices de tous ordres. Si les libertés sont confisquées, c’est parce que les artistes n’ont plus d’inspiration et préfèrent plaire avec des discours démagogiques loin de leur art, le beau, au service du public.  » Est laid en art, tout se rit sans motif « . Si les libertés sont confisquées, c’est parce que les intellectuels rasent les murs et ont accepté le règne de la pensée unique, en se rendant complices de la mort de la pensée et de la réflexion dans le pays.”

Il y a tout de même quelques rares OSC qui restent vent debout pour la défense et la restauration de la démocratie. L’Association nigérienne de lutte contre la corruption, section de Transparency international au Niger et l’Association des jeunes avocats du Niger (AJAN) ont dénoncé la recrudescence de violations des droits humains à travers les arrestations extrajudiciaires et l’impossibilité pour les avocats de défendre leurs clients. Les jeunes avocats dénoncent également l’incapacité de la justice à faire respecter et exécuter ses propres décisions.

Les paroles fortes du président du CNSP sur la nécessité de revoir l’approche sécuritaire n’ont malheureusement pas été suivies d’actions concrètes et efficaces pour protéger les citoyens et assurer la stabilité du pays. Qu’est ce qui peut expliquer ce paradoxe ? Motus et bouche cousue.

En ce qui concerne la lutte contre la mauvaise gouvernance, les actions du CNSP ont soulevé des inquiétudes. L’ordonnance 2024-05, conçue pour faciliter des dépenses en dehors des procédures légales, a suscité des critiques des médias et des OSC fidèles au cadre démocratique quant à l’utilisation des ressources publiques. Au lieu de mettre fin à la corruption et à l’impunité, le CNSP semble avoir ouvert la voie à des pratiques douteuses qui vont à l’encontre des intérêts du peuple nigérien.

Pendant ce temps, la situation sécuritaire du Niger s’est fortement dégradée. En réponse, les généraux s’emmurent dans une posture iconoclaste avec comme armes : le populisme et la propagande. Pendant ce temps, les récipiendaires de la médaille de Souveraineté Sarauniya Mangou se délectent certainement de leurs gadgets.   « Ils n’ont pas de pain ? Qu’ils mangent de la brioche ! » serait la réponse donnée par « une grande princesse » à qui l’on faisait part du fait que le peuple n’avait plus de pain à manger.

Elh. M. Souleymane

L’Autre Républicain du jeudi 15 Aout 2024

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