Par Elh. M. Souleymane
Au Niger, sous le magistère du général Tiani, sale temps pour les mal-pensants ! Très tôt, nous avons fait le constat que les chantres du nationalisme débridé ont tendance à faire du patriotisme leur apanage exclusif s’autorisant, par conséquent, à décréter qui est patriote et qui ne l’est pas. Il est courant d’entendre de la part des doctrinaires de ce patriotisme spécieux que telle personne est apatride ou telle autre est l’ennemie du pays. Tout celui qui exprime une idée contraire est considéré comme un mal-pensant, un ennemi à abattre. Sous la dictature, on le sait, il n’y a pas de débat. Pire, tout le monde doit regarder dans la même direction : on se range ou on va en exil. Après ‘’l’avertissement national’’ du colonel Ibro, c’est au général Tiani, dans son message à la Nation, d’avertir tous les opposants ou mal-pensants que le Niger a cessé d’être la terre de l’altérité et de la tolérance. Dans cette optique, il y a lieu de se demander comment la junte militaire entend sauvegarder la patrie en considérant une partie des fils du pays comme quantité négligeable.
Pourtant, nul doute que dans l’œuvre de l’édification de la nation, chaque citoyen doit jouer sa partition. Autant de têtes autant d’avis, dit-on. Autrement dit, autant de personnes, autant de manières de voir différemment, autant d’opinions. Et puisqu’il faut du tout pour faire un monde, il faudrait accepter les règles élémentaires du vivre ensemble comme condition sine qua non de la paix sociale et d’atteinte de nos objectifs. C’est parce que nous avons la pleine conscience que dans la marche actuelle de notre pays, chaque nigérien a son mot à dire et doit le dire que nous prônons une posture dialogique et plus pondérée à nos frères militaires aux commandes de l’Etat . Autrement, notre choix aurait été de nous taire et observer jusqu’au retour de la démocratie qui garantit les opinions plurielles, synonyme d’enrichissement et de progrès pour tout pays.
Les penseurs du système démocratique ont conscience que le règne de la pensée unique est l’ennemi des libertés et des droits humains. L’humanité a souffert de tant de crimes et de régressions chaque fois que quelqu’un ou quelques-uns imposent à la société leur vision (pensée unique) ou leur volonté. C’est une trajectoire dangereuse qui anéantit l’imagination créatrice et la culture. C’est Joseph Ki-Zerbo qui a écrit dans ‘’A quand l’Afrique’’ : « …Si toutes les cultures devaient être alignées sur celle du Texas, ce serait une perte irrémédiable pour les texans eux-mêmes : il n’y aurait plus d’enrichissement possible. Le clonage culturel, c’est la fin de la civilisation. » En d’autres termes, l’altérité et la diversité sont un enrichissement de sorte qu’il faut savoir surmonter la phobie de la rencontre avec l’autre. Le CNSP a intérêt d’entendre les autres sons de cloche qui sont souvent plus constructifs que les vuvuzelas de certains soutiens ou porteurs d’eau qui vous poussent à la faute. Dans cette perspective, le philosophe Roger Garaudy nous invite à l’humilité : « Je considère l’autre homme et l’autre culture comme une partie de moi-même qui m’habite et me révèle ce qui me manque ». En d’autres termes, face à l’autre, il faut être humble. Il faut surtout espérer apprendre quelque chose de l’autre homme, de l’étranger, de l’autre culture. Pour ce faire, il faut se dire qu’on n’est pas le nombril du monde. C’est dire que le refus de l’altérité n’est qu’appauvrissement et source de recul pour un individu comme pour un peuple. N’est-ce pas une erreur monumentale que de ne pas écouter l’autre ? D’ailleurs n’a-t-on pas dit que le sens de l’écoute est une grande qualité chez un leader ? C’est pourquoi, loin de persécuter l’opposiion, les hommes d’Etat en font une institution censée contribuer à la sauvegarde de la patrie. Combien de fois avons-nous commis des erreurs voire des fautes pour n’avoir pas écouté notre interlocuteur ? “La balle qui pourrait t’atteindre pourrait ne pas venir de mon camp’’, chuchotait à Barack Obama, Georges Bush junior réalisant que Obama avait le vent en poupe dans la course à la Maison Blanche.
Les membres du CNSP se font-ils violence pour écouter ceux d’en face, leurs opposants ou bien continuent-ils à privilégier cette façon manichéenne qui consiste à dire que tout celui qui n’est pas avec moi est forcément contre moi ? Nous apprenons toujours de nos erreurs. Si les militaires au pouvoir voudraient réussir leur transition, ils doivent cesser de considérer le pays comme une caserne et les citoyens comme des soldats. Il n’y a que dans les casernes où les soldats sont tenus d’obéir sans murmure ni toute forme de contestation de l’ordre avant son exécution. Les Nigériens ont vécu l’ère démocratique pendant une trentaine d’années. Ils ont appris à contester l’ordre en place, à donner leurs opinions dans la marche du pays, bref à dire non. Nier cette réalité nous amène certainement droit à une dictature.
Le bon reflexe pour réussir cette transition consiste à ne pas diviser les Nigériens mais à poser des actes dans le sens de mobiliser toutes les énergies. C’est dire que le CNSP doit être dans une posture dialogique. C’est un bon signe le geste de la junte de libérer les ex dignitaires du régime de la Renaissance. Si cela s’avère, le CNSP lâche du lest dans le sens de la décrispation du climat sociopolitique du pays. Il n’y a aucune certitude dans le flou artistique actuel que ceux qui s’opposent à la trajectoire actuelle du pays soit une minorité. Les meetings au stade national ou à l’escadrille ne sont que des pièges trompeurs. Ces présumés opposants auraient la liberté d’organiser ce genre de manifestations, ils auraient mobilisé leur beau monde. Une façon d’appeler à la vigilance car tout ce qui brille n’est pas de l’or. A notre humble avis, il faut bannir la pensée unique au sommet. L’intérêt de cette perspective dialogique c’est la préservation, le respect, la tolérance et la promotion de toutes les opinions et cultures….tendant à la sauvegarde de la patrie.
Elh. M. Souleymane
L’Autre Républicain du jeudi 1er aout 2024