En février dernier, la presse a relayé l’information selon laquelle une requête serait envoyée à la Cour d’Etat pour la levée de l’immunité judiciaire du président Mohamed Bazoum. Finalement, l’information s’est avérée avec quelques sources dignes de foi. Une décision de la cour d’Etat est donc attendue dans les jours à venir.
Mais, la question qui taraude l’esprit des nigériens est de savoir si oui ou non la requête du CNSP peut-elle aboutir ?
Analysons les choses du point de vue juridique et posons le débat sur les conséquences politiques.
Quels sont les textes applicables dans le cas d’espèce ?
Il faut d’abord rappeler aux nigériens que la Cour d’Etat ne peut juger que dans l’exercice de sa compétence et ne peut statuer que dans le cadre des textes applicables au cas soumis à son jugement. Nul ne peut être poursuivi ou puni d’une peine en dehors de la loi. Or dans le cas du dossier Bazoum, il n’existe aucun texte juridique applicable sur lequel la Cour d’Etat peut s’appuyer pour statuer. En tout cas, pas du point de vue du droit !
Certains juristes mal inspirés ou de mauvaise foi évoquent le cas de l’ex-président Tanja comme jurisprudence. C’est tout faux bien sûr. L’Ordonnance de 2010 qui a permis la levée de l’immunité de Tandja concerne les anciens présidents et anciens chefs d’Etat, ce qui n’est pas le cas du président Bazoum. Le mandat de ce dernier a été écourté par un coup d’Etat, il n’a pas démissionné et même s’il l’avait fait, il revient à la Cour Constitutionnelle de le constater et de l’acter suivant une procédure. Jusqu’à preuve du contraire, Bazoum n’a pas encore le statut d’ancien président, pas du point de vue juridique. Par conséquent, la Cour d’Etat ne peut statuer sur son immunité sans un texte juridique applicable, clair et précis.
Accusé de tout sans la moindre preuve irréfutable
Le président Bazoum n’a exercé le pouvoir que pendant vingt-huit (28) mois, mais ces tombeurs semblent l’accuser de tout sans brandir la moindre preuve irréfutable d’un crime ou d’un délit qu’il aurait commis. Peut-on inquiéter Bazoum et laisser Issoufou tranquillement ? Les nigériens ne sont pas disposés à accepter une telle injustice car des voix s’élèvent déjà pour réclamer une traduction de l’ex-président Issoufou en justice pour « haute trahison ». Même cette notion de « haute trahison » nécessite une clarification, que veut-elle dire dans le droit nigérien ? La haute trahison n’existe pas comme infraction dans le code pénal nigérien. Cependant, dans la Constitution de la 7e République on parle de haute trahison comme une condition pouvant déclencher une procédure de déchéance du président de la République. L’article 142 de la Constitution stipule que : « Le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. Il est jugé par la Haute cour de justice. Il y a haute trahison lorsque le Président de la République viole son serment, refuse d’obtempérer à un arrêt de la Cour constitutionnelle, est reconnu auteur, coauteur ou complice de violations graves et caractérisées des droits humains, de cession frauduleuse d’une partie du territoire national, de compromission des intérêts nationaux en matière de gestion des ressources naturelles et du sous-sol et d’introduction de déchets toxiques sur le territoire national. Lorsque le Président de la République est reconnu coupable du crime de haute trahison, il est déchu de ses fonctions. La déchéance est constatée par la Cour constitutionnelle au terme de la procédure devant la Haute cour de justice conformément aux dispositions de la présente Constitution ». L’article 144 précise que : « la mise en accusation du Président de la République est votée par scrutin public à la majorité des deux tiers (2/3) des députés composant l’Assemblée nationale ».
Comme il est facile de démanteler les institutions de la République en cas de coup d’Etat militaire, les toutes premières mesures de la junte sont entre autres : suspendre la Constitution, dissoudre la Cour Constitutionnelle et la Haute Cour de Justice. La Cour d’Etat qui comprend deux chambres (judiciaire et administrative) ne peut se substituer au parlement, à la Cour Constitutionnelle et à la Haute Cour de Justice pour connaitre la haute trahison.
En outre, dans les attributions de la chambre judicaire nulle part il n’a été fait cas de poursuites pour crimes et délits dont peuvent être l’objet les anciens présidents, anciens chefs d’Etat et anciens membres du gouvernement. Une poursuite contre le président Bazoum et l’ex-président Issoufou n’est pas envisageable en droit faute de textes et de procédure applicables. Un forcing juridique entraînera des conséquences politiques graves pour notre pays. Dans le cas d’une trituration du droit, l’arbitraire remplacera la règle du droit, ouvrant au passage le boulevard de tous les abus. Dans ce cas, le Niger cessera tout simplement d’être un Etat de droit.
La rédaction