Dr Souley Adji est socio-politologue, enseignant chercheur à l’Université Abdou Moumouni de Niamey. Très constant, cet intellectuel proactif a su faire montre de dignité tout au long de notre processus démocratique. A travers cette interview, il analyse la 4ème irruption de l’armée au Niger, donne son appréciation sur les raisons avancées de la démolition des institutions républicaines et apprécie la complicité voire l’opportunisme des contre-pouvoirs au Niger.
« Le coup d’État a ceci de révélateur qu’il a permis de démasquer les authentiques militants des valeurs humanistes des opportunistes », déclare Dr Souley Adji
L’Autre Républicain : Le processus démocratique nigérien a connu une 4ème interruption le 26 juillet 2023. En tant que grand témoin de l’évolution socio-politique de notre pays, pourquoi l’armée s’érige-t-elle en régulatrice du jeu démocratique au Niger ?
Dr Souley Adji : La principale raison en est que l’armée nationale n’a tout simplement jamais été éprise de valeurs républicaines, supposant notamment l’exécution des tâches régaliennes dévolues à elle, telle que la défense du territoire et l’obéissance à l’autorité civile, singulièrement aux élus du peuple. Depuis l’acte fondateur du 15 avril 1974, où un quarteron d’officiers prit le pouvoir et l’exerça durablement, les hauts-gradés militaires réalisèrent qu’ils pourraient désormais le conquérir et régner en toute impunité sur le pays. Treize années du régime du Général Seyni Kountché et trois années de celui de son successeur, le Général Ali Saibou, avaient suffi à asseoir une culture politique, le soldat paraissant dorénavant légitime pour évincer tout pouvoir civil, même porté par le peuple, force restant aux armes, non à la loi. Le militaire républicain est mort en 1974, aussitôt lui succéda le militaire -politicien, qui fit du pouvoir sa propriété exclusive, pour ainsi reprendre le mot du politologue nigérien Tidjani Alou.
Nonobstant l’émergence d’une république démocratique une génération après l’Indépendance du pays, l’ancrage de cette culture militaro – politique fut telle que le processus démocratique connut plusieurs ruptures, les tenants de l’ordre militaire y voyant un désordre voire un non -sens, une incongruité ; pour l’élite militaire, le commandement devrait être forcément militaire. Jamais abandonné, le projet de restauration autoritaire, initié dés 1996, a fini par atteindre son paroxysme avec le coup d’État de juillet 2023, il n’est même plus question de transition politique, devant aboutir à l’instauration d’un régime de type démocratique. C’est inédit ! Voilà pourquoi, ces officiers, très éloignés des valeurs républicaines, se sont érigés en régulateurs du jeu politique, mais en fait de véritable régulation, il s’agissait pour eux de rétablir l’ordre normal, c’est à dire, militaire, du commandement du pays. Ils estiment en effet que le pouvoir leur revient de fait, les civils étant leurs principaux adversaires dans la question de l’accès aux sommets de l’État.
L’Autre Républicain : Le putsch du 26 juillet est atypique en sens qu’il intervient sans aucune crise à l’horizon. En tant qu’analyste sociopolitique quelle lecture faites-vous de la démolition des institutions républicaines intervenue le 26 juillet 2023 ?
Dr Souley Adji : Étant donné cette irrépressible soif de restauration autoritaire, une armée non républicaine n’a guère besoin de crise politique à l’horizon ni de motifs majeurs tels que la mal gouvernance ou la lutte contre le terrorisme pour interrompre le processus démocratique. Voyez-vous, il ne viendra à l’esprit d’aucun groupe d’officiers belge, italien israélien voire sénégalais pour s’immiscer dans le jeu démocratique et destituer les autorités civiles. Cela nonobstant les multiples crises et troubles politiques que connaissent régulièrement ces pays. Aussi, au Sahel et notamment au Niger, les prétoriens ne cherchent pas de mobiles valables pour fomenter un coup d’État, si ce n’est pour la forme, car seules les intéressent les opportunités. L’opportunité ici semble être le jeu trouble du prédécesseur du Président Bazoum, dans la mesure où il continue d’avoir de nombreux privilèges comme s’il n’était pas comptable des actes posés par son successeur et son parti.. On connait l’adage ; l’occasion fait le larron. C’est dire que le putsch du 26 juillet n’a rien à voir avec les raisons avancées par la junte, d’autant plus que les nouveaux maitres n’ont pas significativement éradiqués les maux qu’ils dénonçaient. Bien au contraire, l’on a, en six mois, assisté à la dégradation de la situation sécuritaire et de la mal gouvernance. Cela montre que contrairement aux élites militaires latino -africaines, naguère adeptes invétérés de coups d’État, les officiers supérieurs sahéliens, peu matures politiquement, n’ont pas encore initié leur mue pour cesser tout changement du pouvoir par les armes. Comprendre que le coup d’État est une manœuvre rétrograde, guère civilisée et contre-productive pour une nation n’est pas donné à tout officier militaire.
L’Autre Républicain : Ce qui est curieux avec la rupture démocratique du 26 juillet, c’est la complicité et le soutien des contre-pouvoirs. Comment expliquez-vous le renoncement à la démocratie et aux valeurs républicaines par les organisations de la société civile et les partis politiques ?
Dr Souley Adji : Il importe de rappeler ici l’adversité pré -électorale et électorale vis-à-vis du principal parti au pouvoir avait quelque part servi de catharsis à l’explosion des sentiments primaires. Dans une nation à polarisation variable, où les loyautés sont faiblement nationales, mais surtout à dimensions ethnique, ethno-régionaliste autant que politique, un changement de régime tend généralement à accentuer ces clivages, de sorte que nombre d’agitateurs et partisans du nouveau pouvoir croient prendre leur revanche, voire s’approprier ce nouveau pouvoir même s’il est aux antipodes des valeurs de démocratie et de droits humains qu’ils avaient pourtant jusque-là prônées et défendues. Que leur soif de revanche soit assouvie à travers le renversement du régime de Bazoum Mohamed leur importe plus que le respect de la volonté générale et le choix de ses dirigeants par le people. Peu importe le flacon, seule importe l’ivresse. : assouvir leurs reflexes ethniques ou ethnocentristes, militaristes ou xénophobes, tels sont parfois les attitudes euphorisantes de nombreux tenants de l’ordre nouveau. Tous ces acteurs et militants politiques ou associatifs rivalisaient pourtant naguère de démocratisme et de défense des droits humains. Le coup d’État a ceci de révélateur qu’il a permis de démasquer les authentiques militants des valeurs humanistes des opportunistes, les partisans de l’unité nationale des ethno-régionalistes et les démocrates avérés des militaristes. Cette reconversion idéologique et politique, à laquelle n’échappent même pas des universitaires, vise évidemment à paver la voie des positionnements et repositionnements porteurs de sinécures et de prébendes. L’on assiste dés lors à ce que Finkielkraut appelle la Défaite de la pensée, les intellectuels, naguère lucides, devenant subitement imperméables notamment aux valeurs universelles et à l’intégration économique de la zone ouest-africaine. A l’épreuve d’un pouvoir personnel, le temps de la lucidité reviendra certainement et le cours démocratique, jamais rectiligne, reprendra dialectiquement son cours. Une certitude. Comme le montre l’exemple de nombreux pays aux processus politiques similaires à ceux du Sahel.
Réalisée par Elh. M. Souleymane
L’Autre Républicain N°001 du jeudi 15 février 2024