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6 octobre, 2024
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TRIBUNE : L’affaire MEBA ou l’échec d’une réforme ambitieuse du système éducatif nigérien autour du Plan Décennal de Développement de l’Education

La frontière entre les affaires publiques et les affaires privées est souvent poreuse dans la gestion de l’Etat au Niger. Les politologues parlent plutôt de gestion néo-patrimoniale de l’Etat, c’est-à-dire l’absence de transparence dans la gestion de l’Etat, l’appropriation des biens publics par les dirigeants, la corruption autour de la mise en œuvre des politiques publiques et la personnalisation du pouvoir politique. L’Affaire MEBA (NDLR : Ministère de l’Education de Base et de l’Alphabétisation) illustre parfaitement ce phénomène que l’africaniste Médard considère comme typique à l’Etat africain. C’est peut-être exagéré de sa part, mais il n’est pas du tout exagéré d’affirmer que l’incohérence des politiques publiques et l’inefficacité de leur mise en œuvre ne sont que la conséquence d’une pratique politique qui trouve son fondement dans le néo-patrimonialisme. Il est de coutume que nombre des dirigeants africains s’arrangent et s’organisent à alimenter leurs partis politiques, entretenir les notables capables de mobiliser des potentiels électeurs et s’offrir beaucoup de privilèges personnels à partir des caisses de l’Etat ou des fonds destinés à la mise en œuvre des politiques publiques. Dans certains secteurs vitaux tels que l’éducation, l’environnement etc., ces fonds deviennent une manne privée des dirigeants pas du tout scrupuleux qui se l’approprient et la dilapident.  Au Niger, c’est autour de la mise en œuvre du Plan Décennal de Développement de l’Education (PDDE) que s’est illustrée l’affaire MEBA, un cas de corruption au sommet de l’Etat comme les nigériens l’ont encore vécu, quelques années plus tard, avec l’affaire MDN (NDLR : Ministère de la Défense Nationale).

Le PDDE : une réponse efficace au problème éducatif nigérien

Le PDDE a été élaboré pour résoudre définitivement tous les problèmes du système éducatif. On entend par système éducatif, les structures, les modes de fonctionnement et les services assurant la formation et le développement intellectuel d’un être humain. L’article premier de la loi d’orientation du système éducatif nigérien (LOSEN) définit le système éducatif comme l’ensemble constitué par les instances d’initiative et de conception, les structures de planification, de production et de gestion, ainsi que les établissements d’enseignement et de formation qui concourent en interrelation à la transmission des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être.

En effet, trois sous-systèmes composent le système éducatif du Niger dans son ensemble. Il s’agit du système de l’éducation formelle, l’éducation non formelle, l’éducation informelle et l’éducation spécialisée. C’est ce cadre qui a permis la formulation et la mise en œuvre du PDDE, la reforme structurelle la plus importante du secteur de l’éducation.

Il est important de rappeler que cette politique publique est à l’actif des bailleurs de fonds (Banque Mondiale et FMI).

Dans le cadre du PDDE, les objectifs visés permettront d’améliorer durablement le système éducatif nigérien. Axés sur l’universalisation de l’éducation, ces objectifs  tournent autour de : (1) l’accroissement de l’accès aux enseignements de base formels et non formels en particulier pour les enfants des zones rurales, les filles et les pauvres ; (2) l’amélioration de la qualité et de la pertinence de ces enseignements ; (3) le développement des capacités de gestion stratégique et opérationnelle des administrations centrales et régionales du secteur et (4) l’accroissement des responsabilités assumées par les administrations et les communautés au niveau local.

Pour atteindre ces objectifs, trois composantes sont prévues pour la réalisation des activités. Il s’agit de : la composante « accès » qui vise l’accroissement et l’équité de l’accès et de l’accessibilité à l’éducation de base formelle et non formelle par une extension équitable de l’offre éducative et la stimulation de la demande sociale d’éducation ; la composante « qualité » qui  couvre tous les processus intervenant dans l’amélioration de l’efficacité du système éducatif et de la qualité des apprentissages ; la composante «développement institutionnel » qui vise la réorganisation et le renforcement des capacités de gestion stratégique et opérationnelle de l’administration centrale et régionale du secteur.

La mise en œuvre du PDDE et l’émergence de l’Affaire MEBA

Plusieurs acteurs étaient impliqués dans la mise en œuvre du PDDE. Il y a d’abord le gouvernement à travers les deux Ministères en charge de l’éducation (le Ministère de l’Education de Base et le Ministère de l’Enseignement Supérieur), ensuite les Partenaires Techniques et Financiers (PTF) et enfin les ONG qui appuient le secteur éducatif. Le pilotage et l’exécution du PDDE sont ainsi basés sur cette structure bureaucratique approuvée par les acteurs cités ci-dessus. Quant aux procédures de mise en œuvre, elles sont détaillées dans différents documents tels que le Manuel d’Exécution du PDDE (ME-PDDE), le Manuel des Procédures Financières et Comptables du PDDE qui s’adresse aux responsables et aux personnels des centres de gestion du Programme, et d’autres manuels qui contribuent à la réalisation du PDDE. Tous ces dispositifs sont réunis dans le but d’une gestion transparente et efficace de la mise en œuvre du programme.

Mais, force est de constater la corruption monumentale qui a caractérisé la mise en œuvre du programme. Plusieurs rapports d’évaluation du PDDE ont été produits par le gouvernement du Niger et par ses partenaires techniques et financiers. Le point commun de tous ces rapports est qu’ils sont basés sur les statistiques (indicateurs) pour juger de l’efficacité et de l’efficience du programme. On observe également que ces rapports ont été produits à différents niveaux par les mêmes experts, les mêmes noms apparaissent sur les rapports du gouvernement et sur ceux des partenaires. En effet, le discours de fond est le mêmes dans tous les rapports d’évaluations, ce qui change légèrement, c’est le style d’écriture et les chiffres en fonction de l’année de l’étude. Curieusement, tous ces rapports aboutissent au même constat positif par rapport à l’atteinte des objectifs et les recommandations formulées à la fin portent généralement sur des aménagements d’ordre technique. La seule évaluation qui a fait des révélations inattendues sur la mise en œuvre du PDDE est l’audit commandité par l’Union Européenne en 2006. Cet audit a relevé un cas de corruption portant sur plus de 10 millions d’euros. A l’époque deux ministres ayant eu en charge le Ministère de l’Education de Base et de l’Alphabétisation, de 2002 à 2005, ont été mis en cause. Une enquête nationale à la même période a révélé des cas de vols de matériels didactiques et utilitaires. A chaque niveau, les responsables chargés de la mise en œuvre du programme s’adonnent au détournement des fonds et autres cas de corruptions. Bref, la gestion des fonds du PDDE a été chaotique et illustre assez parfaitement la gestion néo-patrimoniale de l’Etat au Niger. Même si cette gestion chaotique des fonds n’a pas du tout empêché la poursuite de la mise en œuvre du PDDE, l’échec de la réforme du système éducatif est très claire. Plus qu’une faiblesse, le PDDE a été un échec cuisant et pour cause, le cas de corruption plus connu sous l’appellation « Affaire MEBA ».

Cette affaire de corruption n’a pas été que financière seulement, elle a été politique, morale, intellectuelle et sociétale tout court. En dépit des fonds détournés, l’affaire MEBA s’est matérialisée également dans la contractualisation de l’éducation, le recrutement en masse des jeunes sans aucune formation pédagogique ni didactique pour enseigner dans les écoles primaires et secondaires, la construction des classes sans études d’impacts et dans un désordre total et la destruction de la qualité des enseignements au Niger. Le niveau moyen des élèves a considérablement baissé, l’institution scolaire publique a perdu du crédit au sein de la société

Alors comment sortir concrètement le système éducatif nigérien de son état comateux ?  

Pour un debut de solution, le président Mohamed Bazoum préconisait l’éducation axée sur la jeune fille.

Mettre l’éducation des filles et des femmes nigériennes au cœur d’une stratégie nationale

Depuis de nombreuses années, dans le monde entier, un accent particulier est placé sur la promotion des femmes et notamment pour l’égalité de genre, et cela dans tous les domaines. Le champ politique, et notamment le souci d’une représentation forte et équilibrée des femmes dans les instances de pouvoir, aux diverses échelles, l’économie, en particulier à travers l’accès aux métiers et aux activités productives, mais aussi la santé reproductive, les droits des femmes et les législations qui régissent les familles, sont traditionnellement les sphères dans lesquelles les efforts sont investis. Avec raison car ils touchent aux fondements mêmes de la vie en société, du rôle et de la place que les femmes y jouent. Pour avancer durablement sur de tels chantiers, il est une condition, sinon un préalable, à savoir l’éducation des femmes, et, dans la même foulée, l’éducation des filles.

Au Niger, l’éducation et la formation des femmes et des filles figurent parmi les priorités cardinales, particulièrement ces dernières années. Pour un pays comme le Niger, la ressource humaine figure sans doute comme la principale richesse. Or, dans la perspective de doter cette ressource humaine d’un véritable pouvoir de créer et d’agir, notamment pour relever les défis existentiels qui concernent tous les ménages du pays, l’éducation – et tout particulièrement l’éducation des femmes et des filles – s’impose immédiatement comme le premier défi à relever. Pourquoi l’éducation féminine ? Pour de multiples raisons mais surtout pour celle-ci : la reproduction de la société de génération en génération dépend énormément du travail des mères vis-à-vis de leurs enfants. Un travail invisible le plus souvent mais décisif est ainsi réalisé. Or plus et mieux les mères sont éduquées, plus et mieux les enfants se retrouvent dotés de capacités, et notamment ces capacités qui sont indispensables pour affronter l’avenir dans un pays sahélien. On peut sans hésiter affirmer que plus les mères sont éduquées, plus leurs enfants seront eux-mêmes éducables et éduqués, et plus ils seront dotés d’un pouvoir d’agir, ils seront utiles pour eux-mêmes, pour mener une « bonne vie » mais aussi et surtout, utiles pour la société à laquelle ils vont apporter leur contribution et au service de laquelle ils investiront leurs talents.

Cette équation « mères éduquées => enfants éduqués => progrès sociétaux » configure une ligne stratégique de premier plan pour un gouvernement comme celui du Niger, peut-être même en définitive suggère-t-elle un fil rouge susceptible de calibrer un horizon fédérateur pour les efforts à investir dans les prochaines années, sinon pour la prochaine décennie. Toutefois, aujourd’hui, si l’idée est pour la plupart acceptée et relativement bien comprise, en revanche la manière de réaliser cette équation et d’inscrire ses effets transformateurs dans les réalités de tous les jours au Niger se présente comme une question encore largement ouverte : sur quoi concrètement mettre la priorité ? Quelle stratégie d’ensemble déployer pour s’approcher le plus près possible et le plus rapidement de la perspective d’une majorité de femmes nigériennes éduquées et participant avec créativité, fortes de cette éducation, aux progrès sociaux, économiques, politiques, environnementaux, culturels ? La réforme du système éducatif ne peut se faire sans une réforme de l’Etat afin de le rendre plus inclusif et loin des pratiques néo-patrimoniales.

Une recommandation utile pour réformer l’Etat de manière générale

Le populisme et la propagande ont des limites certaines, il ne suffit pas aussi de changer X par Y pour produire le miracle. Pour reformer l’Etat, il faut commencer par dépolitiser l’administration publique de manière générale et redéfinir les conditions de coopérations avec les bailleurs de fond. Sur le plan interne, il faut minimiser l’influence de certaines catégories d’acteurs qui ont tendance à jouer de plus en plus un rôle de mercenaires politiques. Joseph Ki Zerbo disait, « on ne développe pas, on se développe ». Pour se développer, on n’a pas besoin de mercenaires politiques mais d’hommes d’Etat responsables, capables de prendre le destin du pays en mains. Pour cela, il faut nécessairement un régime démocratique solide et légitime avec des institutions politiques et économiques inclusives, un gouvernement efficace, une justice juste, une administration publique professionnelle, une sécurité garantie et un programme cohérent de développement économique et sociale. 

Garba Abdoul Azizou

Ancien Directeur Adjoint du Centre National d’Etudes Stratégiques et de Sécurité (CNESS)-Niger

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