Après le coup d’État du 26 juillet 2023, le Niger a fait la Une de l’actualité, car les équilibres géopolitiques régionaux risquaient d’être bouleversés : le pays était en effet très lié à la France qui y disposait de près de 5000 soldats dans le cadre de l’opération Barkhane, aux États-Unis qui y possèdent une base militaire stratégique et à l’Union européenne, ces trois entités lui apportant un soutien financier massif. La question était alors de savoir si la junte emmenée par le général Tiani allait se tourner vers la Russie, comme ses homologues malienne et burkinabé, et par conséquent rompre ses liens avec l’Occident ? Huit mois plus tard, nous avons presque la réponse…
La France chassée du Niger
La junte regroupée au sein du CNSP (Conseil national pour la sauvegarde de la patrie) s’en est d’abord prise à la France accusée de tous les maux dont souffre le pays. Elle mit donc fin à l’opération militaire Barkhane dont elle dénonçait l’inefficacité dans la lutte contre les jihadistes. Les faits prouvent le contraire puisqu’un décompte établi début décembre montre que le Niger a subi des dizaines d’attaques jihadistes entraînant la mort d’au moins 443 militaires, soit plus de six fois la totalité des 59 pertes enregistrées durant les deux années de la présidence de Mohamed Bazoum durant lesquelles les FAN (Forces armées nigériennes) étaient assistées de Barkhane.
La junte expulsa ensuite l’ambassadeur Sylvain Itté, dénonça de nombreux accords bilatéraux et de coopération et entrava l’activité des rares entreprises françaises encore sur place. Orano (ex-Areva) a dû interrompre l’activité de son usine de traitement de l’uranium faute de matières premières et de pièces détachées. À terme, la junte la confiera à la Russie ou la Chine voire à l’Iran qui a noué des contacts étroits avec elle.
L’Union européenne seconde cible de la junte
Très vite, l’UE a gelé tous ses financements ce qui mit en grande difficulté les finances du pays très dépendantes de l’extérieur. Elle a aussi adopté une résolution demandant le départ de la junte et le rétablissement du président Bazoum dans ses fonctions. Dans un souci de rétorsion et d’escalade, les putschistes abrogèrent la loi relative au trafic illicite des migrants en criminalisant la migration irrégulière (les flux migratoires vers l’Europe via le Sahara ont depuis lors augmenté), puis l’accord militaire EUCAP Sahel qui renforçait le secteur de la sécurité intérieure et les capacités du pays dans la lutte contre les menaces sécuritaires (4 décembre). Enfin de nombreuses ONG européennes cessèrent toute activité ou furent contraintes de le faire ce qui accrut la souffrance des populations.
Les États-Unis humiliés
La sous-secrétaire d’État aux affaires africaines Molly Phee s’est très vite désolidarisée de la France dans l’espoir de la supplanter. Aussi, elle n’a pas condamné le coup d’État et finit même par le reconnaître (octobre 2023) dans le souci de ménager la junte pour, d’une part, conserver l’importante base militaire (un millier de soldats) et de renseignement que les Américains ont installée à Agadez et, d’autre part, empêcher l’arrivée de la Russie. Enfin, pour normaliser leurs relations, la nouvelle ambassadrice américaine remit au ministre des Affaires étrangères Yaou Bakary Sangaré une copie de ses lettres de créance (20 décembre), mais elle ne put les remettre au général Tiani, signe que les relations se détérioraient.
Cette stratégie échoua dans l’humiliation : une délégation conduite par Molly Phee accompagnée de Michael Langley commandant en chef de l’Africom ne fut pas reçue par le général Tiani bien qu’elle ait prolongé son séjour à Niamey de 24 heures. Trois jours après son départ, le CNSP exigea que les USA quittent le pays dans un délai « immédiat » (16 mars 2024). Ce camouflet montre l’ingratitude de la junte pour un pays qui a pourtant beaucoup fait pour l’armée nigérienne (dons de matériel, formation, etc.). Il renvoie à deux erreurs : l’une relative au général Salaou Barmou, numéro 3 de la junte et chef d’État-major de l’armée nigérienne, réputé proche des USA où il a effectué sa formation militaire, et longtemps leur interlocuteur privilégié au Niger. Molly Phee comptait sur lui pour défendre les intérêts américains, mais elle s’est fourvoyée sur son poids politique qui n’est pas aussi puissant qu’elle le pensait. Sa seconde erreur est d’avoir adopté une attitude déloyale à l’égard de la France (le 8 novembre, les USA ont même accepté de superviser le retrait des troupes françaises) alors que les deux pays auraient dû agir de concert pour constituer un front commun face aux putschistes : l’administration américaine qui a joué son propre jeu, paye ses erreurs au prix fort et montre ses difficultés à saisir la complexité des situations africaines et à anticiper les pièges tendus.
Les Russes déjà là ?
En s’isolant de l’Occident, de l’Algérie qui a pris ses distances, de la Chine avec laquelle les relations sont tendues et des pays de la CEDEAO (sauf le Mali et le Burkina Faso avec lesquels le Niger a créé l’Alliance des États du Sahel), la junte prépare la venue de la Russie, démarche révélatrice d’une fuite en avant qui découle de ses échecs militaires, économiques, diplomatiques et politiques. Le général Mody, numéro 2 du régime et ministre de la Défense nationale œuvre sans relâche en ce sens et il n’y a guère plus de doute qu’il arrivera à ses fins à moins que ce ne soit déjà le cas, la rumeur annonçant que des agents du renseignement russes étaient déjà arrivés à Niamey.
Comme au Burkina Faso et au Mali, la principale mission des mercenaires russes, si leur venue se confirme, sera d’assurer la protection des membres du CNSP qui, dans une paranoïa collective, craignent d’être renversés ou son implosion suite à des divisions ou à des ambitions personnelles. Ce rôle de garde prétorienne alloué aux Russes est primordial, la lutte contre les jihadistes étant secondaire et le pillage des ressources aurifères leur rémunération. Dans une attitude très poutinienne, ces juntes font donc fi des populations : peu leur importe si elles se paupérisent et sont comme au Mali les premières victimes des massacres et des violences des mercenaires russes du moment qu’elles gardent le pouvoir et continuent de s’enrichir. La « Russafrique » ne promet pas des lendemains meilleurs…
Emmanuel Grégoire
Géographe, auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur le Niger.